Page:Jaloux - Le reste est silence, 1910.djvu/146

Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
LE RESTE EST SILENCE…

fondré sur un fauteuil, et il respirait difficilement. Et j’eus soudain une grande pitié pour cet homme. Rentrait-il, le front chargé de menaces ou tout prêt à oublier ces choses mystérieuses dont il avait accusé ma mère ? Je vis bien à son attitude que jamais il n’aurait imaginé sa maison vide. Je distinguai, en un clin d’œil, son désarroi, son incertitude, son angoisse. Ce père, qui commandait, qui était autoritaire et souvent dur, ce maître, le voilà donc maintenant impuissant, écrasé, sans résistance, — plus faible, en vérité, que moi-même !

Alors, Élise entra, et avec la familiarité des vieilles domestiques, conservées longtemps dans la maison :

— Madame ne va pas rentrer ? nous demanda-t-elle.

— Madame ne rentrera pas ce soir, dit mon père.

Il eut pour répondre un sursaut d’énergie, un air de très bien savoir où était sa femme, — le même mouvement de dignité que j’avais eu moi-même, quelques heures plus tôt. Mais Élise ne comprenait-elle pas