Page:Jaloux - Le reste est silence, 1910.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
LE RESTE EST SILENCE…

— et ce qui est irréparable est déjà passé ! C’est comme un fossé que l’on franchit en courant : on le voit tout d’un coup ; à peine l’a-t-on entrevu, qu’il est derrière nous. Et après, les heures, les jours, les mois peuvent se dérouler, rien ne changera ce qui est accompli. Ces terribles pensées, je ne les formulais pas nettement, mais qu’importe leur expression ? Elles n’étaient pas moins en moi, je les sentais dans mon être, hargneuses, menaçantes, redoutables. Tout arrive. Ma mère, qui ne m’avait jamais laissé une journée entière, s’en était allée pour longtemps, bien longtemps. La rue l’avait prise, la rue hostile, dangereuse, attirante, pleine d’embûches et de guet-apens, que j’avais toujours détestée. Maman marchait maintenant sous le ciel, vers la nuit, vers les étoiles menteuses des becs de gaz que l’on allumerait tantôt. Elle était exposée à tous les dangers, à toutes les épouvantes qui assaillent les êtres, sitôt qu’ils quittent la bonne maison paisible et le rond de lumière dorée que fait la lampe sur la table du soir. Mais moi-même,