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LE RESTE EST SILENCE…

fut d’entendre ma mère me dire, d’un ton tout-à-fait sec et détaché, en me tendant une pièce de cuivre :

— Tiens, voilà deux sous. Achète du pain et va le donner aux cygnes. Ça t’amusera…

Je pris maladroitement la pièce, et n’en demeurai pas moins immobile.

— Eh bien ! qu’est-ce que tu attends là ? dit ma mère, déjà impatientée. Tu ne remues pas plus qu’un terme. Va vite !

Avant de m’éloigner, j’entendis maman qui disait :

— Vous voyez bien que j’ai tenu ma promesse, malgré tout…

Quelle promesse ? Je m’en allai, stupéfait. On m’envoyait seul au bord d’un étang, moi qu’on ne pouvait voir auprès d’un puits sans crier que j’allais me noyer ! On m’invitait à acheter du pain, tout seul, en sachant que jamais je n’avais tenté une démarche aussi hasardeuse et que j’étais la timidité même ! Que se passait-il donc ? Je marchais machinalement dans l’allée par laquelle nous étions venus, si triste et le