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de mon voyage a justifiée. À quoi bon, maintenant ? Elle ne peut plus me servir de rien ! Étiez-vous là quand Valère est mort ?

Je lui racontai ce que vous savez déjà, mon absence de Paris, mon retour, ma désolation.

— Et elle, savez-vous pourquoi elle m’a quitté sans un mot, sans un adieu, pour épouser ce Monsieur Agniel ?

Je lui dis ce que j’avais appris, ce que je soupçonnais. Béchard, machinalement, mettait en équilibre de menus bibelots sur une pile de brochures. Soudain, l’un d’eux s’effondra et l’édifice entier roula sur le sol.

— Personne ne saura jamais ce que j’ai souffert là-bas ! Moi-même, je ne me doutais pas que je l’aimais à ce point. Un soir, à Sao-Paulo, j’ai pris mon revolver et je l’ai armé… Ce qui m’a sauvé, je crois, c’est le désir de savoir la vérité. Il n’est pas possible qu’elle m’ait menti, qu’elle ait joué la comédie pour moi. Alors ?

Il leva la tête, sa belle tête brunie et mélancolique.

— Il faut que vous me rendiez un service, dit-il. Nous irons la voir…

— Mais personne au monde ne sait où elle est !

— Allons donc ! On ne disparaît pas comme cela. Ne vous occupez de rien, je ferai les recherches nécessaires. Je ne vous demande que de m’accompagner le jour où je saurai le lieu où elle se cache. Comme vous connaissez son mari, vous pourrez tout de même entrer chez elle et vous lui demanderez une entrevue en mon nom. Je veux la revoir encore une fois, une dernière fois…

Je le lui promis. Il répétait :

— Je veux savoir, savoir… Je ne peux pas croire qu’elle m’ait trahi. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.

J’admirai cette sorte de foi en Françoise et je me demandai si j’aurais eu la force de la garder ainsi, dans le cas où cette mésaventure me fût advenue. Et cependant, au fond de moi-même, je conservais la même conviction que lui ; j’étais, il est vrai, plus désintéressé dans la question.

Il m’apprit, avant de me quitter, que c’était par son ami Jasmin-Brutelier qu’il avait été tenu au courant de tous ces événements. Il ajouta que Jasmin-Brutelier était marié aujourd’hui avec Marie Soudaine.

— Il est heureux, conclut-il. Il n’est pas seul au monde…

Pendant quinze jours, je fus sans nouvelles de Lucien Béchard. Il reparut au bout de ce laps de temps.

— Êtes-vous toujours décidé à m’accompagner ? me dit-il en entrant.

— Plus que jamais !

— Eh bien ! j’ai trouvé la piste de Françoise. Son mari a acheté une étude de notaire à Aubagne, qui est une toute petite ville, près de Marseille. Ils y vivent tous les deux. J’ai leur adresse. Quand partons-nous ?

Le surlendemain, Lucien Béchard et moi nous prenions à la gare de Lyon le train de 8 heures 15.



XX


À peine arrivés à Marseille, nous partîmes pour Aubagne. Un tramway nous y conduisit, qui, pendant une heure, nous fit rouler dans les flots de poussière, entre des platanes si blancs qu’ils semblaient couverts de neige. Bientôt, nous vîmes autour d’un double clocher se serrer plusieurs étages de maisons décolorées, aux tons éteints, tassées les unes contre les autres, avec la disposition des minuscules cités italiennes, qui sont venues à l’appel de leur campanile.

Nous descendîmes au commencement d’un boulevard que signalait une