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GOLO.

Je dis que depuis huit jours je n’ai pu résister aux charmes de tes yeux, je dis que pour te plaire, je me suis fait maigrir ; j’ai renouvelé ma garde-robe, j’ai trouvé des fournisseurs qui ont eu confiance dans ma bonne foi et ma signature ; je dis que j’en tiens pour toi.

GENEVIÈVE.

Ah ! vous me faites horreur !

GOLO.

Oh ! redis-moi encore ce mot ! je te fais horreur, n’est-ce pas ? Tu me méprises ? Tu me hais ?

GENEVIÈVE.

Je vous abhorre.

GOLO.

Ah ! Dieu, tu ne peux pas te figurer quel plaisir tu me fais ? Mais soit tranquille, bientôt ton exécration pour moi n’aura plus de bornes : — Connais-moi tout entier. — C’est moi qui a poussé ton stupide époux à te répudier ; c’est moi qui l’ai fait quitter son royaume pour aller s’amuser là-bas… et qui viens de lui envoyer comme souvenir une petite tisane, qu’il déguste en ce moment, et dont probablement il ne me donnera jamais de nouvelles, jamais ! jamais ! C’est moi qui au lieu de te renvoyer à la cour de ton père avec de la musique nouvelle, comme je le devais, t’ai enfermée dans cette horrible caverne.

GENEVIÈVE.

Vous ! !

GOLO.

Oui, moi ! n’est-ce pas que je suis un grand scélérat ? — Eh bien, dis un mot, à nous deux le pouvoir, la richesse, les plaisirs ! — Viens avec moi, californie d’amour, viens en Suisse, je te donnerai un châlet avec des oies, des poules, des dindons, des canards. Aimes-tu le canard ?… Il y en aura partout, avec des navets !…

GENEVIÈVE.

Je n’aime pas la campagne.

GOLO.

Quoi ! tu ne t’es jamais trouvée dans une campagne émaillée de fleurs famées à demi, pendant une soirée d’automne ?… Tu n’as jamais examiné la feuille veloutée de l’arbre de Jupiter, lorsque jaunie par le souffle impétueux du zéphir septentrional, elle tombe inclinée par son poids dans les vagues écumeuses du ruisseau paisible de la vallée solitaire, entraînée au sein du vaste Océan où elle rencontre son tombeau ?… Ah ! si tu savais comme alors, à l’aspect caressant de la nature en deuil et prête à revêtir la robe glacée des frimas, l’âme s’épanouit aux impressions tardives d’un amour prématuré, et se balance avec délices dans le vague de la mélancolie d’un cœur qui ne brûle que pour toi et dont tes yeux sont les baisers ardents qui le dessèche nuit et jour. (Il prend sa mandoline.) — Sérénade en sol !…

SÉRÉNADE.
––––––Si tu m’aimais comme je t’aime,
––––––Tu ne sais pas comment je t’aimerais !
––––––Je t’aimerais plus que moi-même ;
––––––Je t’aimerais comme on n’aima jamais
––––––Comme l’avare aime Barême,
––––––Comme le tigre aime le mouton frais,
––––––Comme le chat aime la crème ;
––––––Voilà comment je t’aimerais !

Oui je t’aime d’amour, ô ma belle Geneviève, oui, je t’aime d’amour avec tes longs cheveux, avec ton cœur de pierre, avec ton teint de neige, oui, je t’aime d’amour, ô ma belle Geneviève ! (Il gratte de la mandoline pendant cette tirade).

GENEVIÈVE.

Va-t-en, monstre, va-t-en !

GOLO, donnant sa mandoline à Almanzor.

Oh ! mais si tu ne veux pas, je t’y forcerai ! (Almanzor grattant à son tour la mandoline) Silence ! muet ! hypocrite avec les forts, je suis féroce avec les faibles.

GENEVIÈVE.

Oh ! je le sais ! Isoline et son fils en sont la preuve !

GOLO.

Par la croix de ma mère ! ah ! tu connais le secret ? Tu vas mourir (appelant) Almanzor ! V’là de la besogne, mon petit, tiens, tu vois bien cette femme ! Eh bien ! eh bien ! prends sa tête (à Geneviève) ; tiens, tu vois cet homme, c’est mon complice, et je le charge de te tuer.

GENEVIÈVE.

Lui ! et son honneur ?

GOLO.

Il est sourd et muet.

GENEVIÈVE.

Et sa conscience ?

GOLO.

Il a du coton dans les oreilles.

GENEVIÈVE.

Ah ! malheureuse ! je suis perdue !

GOLO.

Je le crois ! Almanzor, as-tu ton sabre ? Tu l’as ? puisque tu l’as,… tue-la ! Almanzor, je t’ordonne de l’occire, entends-tu ? (Almanzor reste immobile.) Ah ! j’oublie toujours qu’il est sourd et muet. Attends. (Il déchire une feuille de son carnet et tout en parlant, à Geneviève.)

Geneviève, il en est temps encore, acceptes-tu ? Des meubles et mon amour, en acajou, en palissandre, en bois de rose, en boule ; Geneviève, en boule !… Non ! Eh bien, c’en est fait.

Signé : Jean-Baptiste Golo.

(Tout en disant ces quelques phrases, il a écrit l’ordre qu’il donne à Almanzor ; celui-ci