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l’heure précise de sa mort. Un instant avant d’expirer, il dictait quelques passages qu’il voulait extraire des œuvres de saint Isidore ; le jeune moine qui écrivait le pria de se reposer parce qu’il parlait avec peine : — « Non, répondit Bède, prenez une autre plume, et écrivez le plus vite que vous pourrez. » — Lorsque le jeune eut dit : — C’est fait. — « Vous avez dit la vérité, » répliqua Bède ; et il expira.

Peu de temps après sa mort, on dit qu’il se fit voir à un moine nommé Gamèle, à qui il témoigna le désir d’être enterré à Durham, auprès de saint Cuthbert. On se hâta de le satisfaire, car on avait un grand respect pour sa mémoire.

Béguins. Voy. Digonnet.

Béhémoth, démon lourd et stupide, malgré ses dignités. Sa force est dans ses reins ; ses domaines sont la gourmandise et les plaisirs du

ventre. Quelques démonomanes disent qu’il est aux enfers sommelier et grand échanson. Bodin croit[1] que Béhémoth n’est autre chose que le Pharaon d’Egypte qui persécuta les Hébreux. Il est parlé de Béhémoth dans Job comme d’une créature monstrueuse. Des commentateurs prétendent que c’est la baleine, et d’autres que c’est l’éléphant ; mais il y eut d’autres monstres dont les races ont disparu. On voit dans le procès d’Urbain Grandier que Béhémoth est bien un démon. Delancre dit qu’on l’a pris pour un animal monstrueux, parce qu’il se donne la forme de toutes les grosses bêtes. Il ajoute que Béhémoth se déguise aussi avec perfection en chien, en éléphant, en renard et en loup.

Si Wierus, notre oracle en ce qui concerne les démons, n’admet pas Béhémoth dans son inventaire de la monarchie infernale, il dit, livre I er, des Prestiges des démons, chapitre xxi, que Béhémoth ou l’éléphant pourrait bien être Satan lui-même, dont on désigne ainsi la vaste puissance.

Enfin, parce qu’on lit, au chapitre xi de Job, que Béhémoth mange du foin comme un bœuf, les rabbins ont fait de lui le bœuf merveilleux réservé pour le festin de leur Messie. Ce bœuf est si énorme, disent-ils, qu’il avale tous les jours le foin de mille montagnes immenses, dont il s’engraisse depuis le commencement du monde. Il ne quitte jamais ses mille montagnes, où l’herbe qu’il a mangée le jour repousse la nuit pour le lendemain. Ils ajoutent que Dieu tua la femelle de ce bœuf au commencement ; car on ne pouvait laisser multiplier une telle race. Les Juifs se promettent bien de la joie au festin où il fera la pièce de résistance. Ils jurent par leur part du bœuf Béhémoth.

Béherit, démon sur lequel on a peu de renseignements, à moins qu’il ne soit le même que Bérith. Voy. ce mot. Il est cité dans la possession de Loudun. Il avait même promis d’enlever la calotte du sieur commissaire, et de la tenir en l’air à la hauteur de deux piques ; ce qui n’eut pas lieu, à sa honte[2].

Remarquons pourtant que, sur cette possession de Loudun, le calviniste qui en fit l’histoire a imaginé beaucoup de quolibets, pour écornifler d’autant l’Église romaine, qu’il voulait, comme tant d’autres, démolir un peu, — mais qu’on ne démolit pas.

Bekker (Balthasar), docteur en théologie réformée, et ministre à Amsterdam, né en 1634. « Ce Balthasar Bekker, grand ennemi de l’enfer éternel et du diable, et encore plus de la précision, dit Voltaire, fit beaucoup de bruit en son temps par son gros livre du Monde enchanté. » Alors la sorcellerie, les possessions, étaient en vogue depuis la réforme, qui livrait de l’espace aux esprits malins ; c’est ce qui le détermina à combattre le diable. « On eut beau lui dire, en prose et en vers, qu’il avait tort de l’attaquer, attendu qu’il lui ressemblait beaucoup, étant d’une laideur horrible : rien ne l’arrêta ; il commença par nier absolument le pouvoir de Satan, et s’enhardit jusqu’à soutenir qu’il n’existe pas. « S’il y avait un diable, disait-il, il se vengerait de la guerre que je lui fais. » Le laid bonhomme se croyait important. « Les ministres, ses confrères, prirent le parti de Satan et déposèrent Bekker. »

Il avait déjà fait l’esprit fort dans de précédents ouvrages. Dans l’un de ses catéchismes, le Mets de carême[3], il réduisait les peines de l’enfer au désespoir des damnés, et il en bornait la durée. On l’accusa de socinianisme, et son catéchisme fut condamné par un synode. Il publia, à l’occasion de la comète de 1680, des recherches sur les comètes, imprimées en flamand, in-8o, Leuwarde, 1683. — Il s’efforce de prouver que

  1. Démonomanie des sorciers, liv. I, ch. i.
  2. Histoire des diables de Loudun.
  3. Il publia deux espèces de catéchismes en langue hollandaise : Vaste spize (le mets de carême), et Geschneden brood (le pain coupé).