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était là aussi une petite supercherie. Mais on y avait cru un siècle et des savants avaient fait imprimer cent volumes pour l’expliquer.

« Faut-il rassembler des arguments pour prouver l’impuissance de la baguette divinatoire ? ajoute M. Saignes[1]. Que l’on dise quel rapport il peut y avoir entre un voleur, une source d’eau, une pièce de métal et un bâton de coudrier. On prétend que la baguette tourne en vertu de l’attraction. Mais par quelle vertu d’attraction les émanations qui s’échappent d’une fontaine, d’une pièce d’argent ou du corps d’un meurtrier tordent-elles une branche de coudrier qu’un homme robuste tient fortement entre ses mains ? D’ailleurs, pourquoi le même homme trouve-t-il des fontaines, des métaux, des assassins et des voleurs quand il est dans son pays, et ne trouve-t-il plus rien quand il est à Paris ? Tout cela n’est que charlatanisme. Et ce qui détruit totalement le merveilleux de la baguette, c’est que tout le monde, avec un peu d’adresse, peut la faire tourner à volonté. Il ne s’agit que de tenir les extrémités de la fourche un peu écartées, de manière à faire ressort. C’est alors la force d’élasticité qui opère le prodige. »

Cependant on croit encore à la baguette divinatoire dans le Dauphiné et dans le Hainaut ; les paysans n’en négligent pas l’usage, et elle a trouvé des défenseurs sérieux. Formey, dans l’Encyclopédie, explique ce phénomène par le magnétisme. Ritter, professeur de Munich, s’autorisait récemment du galvanisme pour soutenir les merveilles de la baguette divinatoire ; mais il n’est pas mort sans abjurer son erreur.

L’abbé de la Garde écrivit au commencement avec beaucoup de foi l’histoire des prodiges de Jacques Aymar ; en 1692 même, Pierre Garnier, docteur médecin de Montpellier, voulut prouver que les opérations de la baguette dépendaient d’une cause naturelle Dans sa Dissertation physique en forme de lettres à M. de Sèvre, seigneur de Fléchères, etc., in-12. Lyon, 1692. ; cette cause naturelle n’était, selon lui, que les corpuscules sortis du corps du meurtrier dans les endroits où il avait fait le meurtre et dans ceux où il avait passé. Les galeux et les pestiférés, ajoute-t-il, ne transpirent pas comme les gens sains, puisqu’ils sont contagieux ; de même les scélérats lâchent des émanations qui se reconnaissent, et si nous ne les sentons pas, c’est qu’il n’est pas donné à tous les chiens d’avoir le nez fin. Ce sont là, dit-il page 23, des axiomes incontestables. « Or, ces corpuscules qui entrent dans le corps de l’homme muni de la baguette l’agitent tellement, que de ses mains la matière subtile passe dans la baguette même, et, n’en pouvant sortir assez promptement, la fait tourner ou la brise : ce qui me paraît la chose du monde la plus facile à croire… »

Le bon père Ménestrier, dans ses Réflexions sur les indications de la baguette, Lyon, 1694, s’étonne du nombre de gens qui devinaient alors par ce moyen à la mode. « A combien d’effets, poursuit-il, s’étend aujourd’hui ce talent ! Il n’a point de limites. On s’en sert pour juger de la bonté des étoffes et de la différence cle leurs prix, pour démêler les innocents des coupables, pour spécifier le crime. Tous les jours cette vertu fait de nouvelles découvertes inconnues jusqu’à présent. »

Il y eut même en 1700, à Toulouse, un brave homme qui devinait avec la baguette ce que faisaient des personnes absentes. Il consultait la baguette sur le passé, le présent et l’avenir ; elle s’abaissait pour répondre oui et s’élevait pour la négative. On pouvait faire sa demande de vive voix ou mentalement. « Ce qui serait bien prodigieux, dit le père Lebrun, si plusieurs réponses (lisez la plupart) ne s’étaient trouvées fausses[2]. »

Un fait qui n’est pas moins admirable, c’est que la baguette ne tourne que sur les objets où l’on a intérieurement l’intention de la faire tourner. Ce serait donc du magnétisme ? Ainsi quand on cherche une source, elle ne tournera pas sur autre chose, quoiqu’on passe sur des trésors enfouis ou sur des traces de meurtre.

Pour découvrir une fontaine, il faut mettre sur la baguette un linge mouillé : si elle tourne alors, c’est une preuve qu’il y a de l’eau à l’endroit qu’elle indique. Pour trouver les métaux souterrains, on enchâsse successivement à la tête de la baguette diverses pièces de métal, et c’est un principe constant que la baguette indique la qualité du métal caché sous terre, en touchant précisément ce même métal.

Nous répétons qu’on ne croit plus à la baguette, et que cependant on s’en sert encore dans quelques provinces. Il fallait autrefois qu’elle fût de coudrier ou de quelque autre bois spécial ; depuis, on a employé toute sorte de bois, et même des côtes de baleine ; on n’a plus même exigé que la baguette fût en fourche.

Voici le secret de la baguette divinatoire et le moyen de la faire tourner, tiré du Grand Grimoire, page 87[3] :

Dès le moment que le soleil paraît sur l’horizon, vous prenez de la main gauche une baguette vierge de noisetier sauvage, et la coupez de la droite en trois coups, en disant : « Je te ramasse au nom d’Éloïm, Mutrathon, Adonaï et Sémiphoras, afin que tu aies la vertu de la verge de Moïse et de Jacob pour découvrir tout ce que je voudrai savoir. » Et pour la faire tourner, il faut dire, la tenant serrée dans ses mains, par les deux bouts qui font la fourche : « Je te commande, au nom d’Éloïm, Mutrathon, Adonaï et

  1. Des erreurs et des préjugés, etc., t. I, p. 165.
  2. Histoire des pratiques superstitieuses, t. II, p. 357.
  3. Ce secret est aussi dans le Dragon rouge, p. 83.