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vant Malebranche[1] les attribuèrent au démon, pendant que d’autres les baptisaient du nom de physique occulte ou d’électricité souterraine.

Ce talent de tourner la baguette divinatoire n’est donné qu’à quelques êtres privilégiés. On peut éprouver si on l’a reçu de la nature ; rien n’est plus facile. Le coudrier est surtout l’arbre le plus propre. Il ne s’agit que d’en couper une branche fourchue, et de tenir dans chaque main les deux bouts supérieurs. En mettant le pied sur l’objet qu’on cherche ou sur les vestiges qui peuvent indiquer cet objet, la baguette tourne d’elle-même dans la main, et c’est un indice infaillible.

Avant Jacques Aymar on n’avait employé la baguette qu’à la recherche des métaux propres à l’alchimie. À l’aide de la sienne, Aymar fit des merveilles de tout genre. Il découvrait les eaux souterraines, les bornes déplacées, les maléfices, les voleurs et les assassins. Le bruit de ses talents s’étant répandu, il fut appelé à Lyon, en 1672, pour dévoiler un mystère qui embarrassait la justice. Le 5 juillet de cette même année, sur les dix heures du soir, un marchand de vin et sa femme avaient été égorgés à Lyon, enterrés dans leur cave, et tout leur argent avait été volé. Cela s’était fait si adroitement qu’on ne soupçonnait pas même les auteurs du crime. Un voisin fit venir Aymar. Le lieutenant criminel et le procureur du roi le conduisirent dans la cave. Il parut très-ému en y entrant ; son pouls s’éleva comme dans une grosse fièvre ; sa baguette, qu’il tenait à la main, tourna rapidement dans les deux endroits où l’on avait trouvé les cadavres du mari et de la femme. Après quoi, guidé par la baguette ou par un sentiment intérieur, il suivit les rues où les assassins avaient passé, entra dans la cour de l’archevêché, sortit de la ville par le pont du Rhône, et prit à main droite le long de ce fleuve. — Il fut éclairci du nombre des assassins en arrivant à la maison d’un jardinier, où il soutint opiniâtrement qu’ils étaient trois, qu’ils avaient entouré une table et vidé une bouteille sur laquelle la baguette tournait. Ces circonstances furent confirmées par l’aveu de deux enfants de neuf à dix ans, qui déclarèrent qu’en effet trois hommes de mauvaise mine étaient entrés à la maison et avaient vidé la bouteille désignée par le paysan. On continua de poursuivre les meurtriers avec plus de confiance. La trace de leurs pas, indiqués sur le sable par la baguette, montra qu’ils s’étaient embarqués. Aymar les suivit par eau, s’arrêtant à tous les endroits où les scélérats avaient pris terre, reconnaissant les lits où ils avaient couché, les tables où ils s’étaient assis, les vases où ils avaient bu.

Après avoir longtemps étonné ses guides, il s’arrêta enfin devant la prison de Beaucaire et assura qu’il y avait là un des criminels. Parmi les prisonniers qu’on amena, un bossu qu’on venait d’enfermer ce jour même pour un larcin commis à la foire fut celui que la baguette désigna. On conduisit ce bossu dans tous les lieux qu’Aymar avait visités : partout il fut reconnu.

En arrivant à Bagnols, il finit par avouer que deux Provençaux l’avaient engagé, comme leur valet, à tremper dans ce crime ; qu’il n’y avait pris aucune part ; que ses deux bourgeois avaient fait le meurtre et le vol, et lui avaient donné six écus et demi.

Ce qui sembla plus étonnant encore, c’est que Jacques Aymar ne pouvait se trouver auprès du bossu sans éprouver de grands maux de cœur, et qu’il ne passait pas sur un lieu où il sentait qu’un meurtre avait été commis sans se sentir l’envie de vomir.

Comme les révélations du bossu confirmaient les découvertes d’Aymar, les uns admiraient son étoile et criaient au prodige, tandis que d’autres publiaient qu’il était sorcier. Cependant on ne put trouver les deux assassins, et le bossu fut rompu vif.

Dès lors plusieurs personnes furent douées du talent de Jacques Aymar, talent ignoré jusqu’à lui. Des femmes mêmes firent tourner la baguette. Elles avaient des convulsions et des maux de cœur en passant sur un endroit où un meurtre avait été commis ; ce mal ne se dissipait qu’avec un verre de vin.

Aymar faisait tant de bruit, qu’on publia bientôt des livres sur sa baguette et ses opérations. M. de Vagny, procureur du roi à Grenoble, fit imprimer une relation intitulée Histoire merveilleuse d’un maçon qui, conduit par la baguette divinatoire, a suivi un meurtrier pendant quarante-cinq heures sur la terre, et plus de trente sur l’eau. Ce paysan devint le sujet de tous les entretiens. Des philosophes ne virent dans les prodiges de la baguette qu’un effet des émanations des corpuscules, d’autres les attribuèrent à Satan. Le père Lebrun fut de ce nombre, et Malebranche adopta son avis.

Le fils du grand Condé, frappé du bruit de tant de merveilles, fit venir Aymar à Paris. On avait volé à mademoiselle de Condé deux petits flambeaux d’argent. Aymar parcourut quelques rues de Paris en faisant tourner la baguette ; il s’arrêta à la boutique d’un orfèvre, qui nia le vol et se trouva très-offensé de l’accusation. Mais le lendemain on remit à l’hôtel le prix des flambeaux ; quelques personnes dirent que le paysan l’avait envoyé pour se donner du crédit.

Dans de nouvelles épreuves, la baguette prit des pierres pour de l’argent, elle indiqua de l’argent où il n’y en avait point. En un mot, elle opéra avec si peu de succès, qu’elle perdit son renom. Dans d’autres expériences, la baguette

  1. Dans ses réponses au père Lebrun. On écrivit une multitude de brochures sur cette matière.