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ZIN
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» Entre eux, les gitanes se nomment zincalis, et abréviativement cales et chai.

» Ce ne fut guère que dans le quinzième siècle que les zincalis se montrèrent en France. On lit dans un auteur français, cité par Pasquier : « Le 17 avril 1427, on vit à Paris douze pénitents d’Égypte, chassés par les Sarasins. Ils amenaient avec eux cent vingt personnes, et se logèrent dans le village de la Chapelle, où l’on allait en foule les visiter. Ils avaient les oreilles percées et portaient des anneaux d’argent. Leurs cheveux étaient noirs et crépus. Leurs femmes étaient horriblement sales et disaient la bonne aventure en vraies sorcières. » Ces hommes, après avoir traversé la France et franchi les Pyrénées, se répandirent par bandes dans les plaines de l’Espagne. Partout où ils avaient passé, leur présence avait été regardée comme un fléau, et non sans motif. Ne voulant ou ne pouvant s’imposer aucune occupation, encore moins aucun métier fixe, ils venaient comme des essaims de frelons s’abattre sur les fruits du travail d’autrui, et bientôt une ligue générale se forma contre eux. Armés de lois terribles, les agents de la justice se mirent à leur poursuite ; le peuple irrité, secondant de lui-même la sévérité de la législation, ou la devançant, leur courait sus et les pendait au premier arbre, sans autre forme de procès.

» Parfois donc, quand ces sauterelles humaines avaient dévasté un canton, la vengeance des habitants suppléait a la connivence des agents de la justice ; mais souvent les gitanos n’attendaient pas que cette vengeance vînt les surprendre, et ils levaient leur camp sans tambour ni trompette. Leurs ânes, chargés des femmes et des enfants, marchaient les premiers, et à l’avant-garde les plus hardis de la troupe, armés d’escopettes, tenaient en respect la police rurale qui osait les poursuivre. Malheur alors au voyageur qui tombait au milieu de cette bande en retraite ! Les gitanos ne se contentaient pas toujours de sa bourse, ils laissaient maintes fois un cadavre sanglant sur les limites du canton qu’on les forçait de quitter en ennemis déclarés.

» Chaque bande ou famille de gitanos avait son capitaine, ou, comme on le désignait généralement, son comte. Don Juan de Quinones, qui, dans son volume publié en 1632, a donné quelques détails sur leur genre de vie, dit : « Pour remplir les fonctions de leur chef ou comte, les gitanos choisissent celui d’entre eux qui est à la fois le plus fort et le plus brave. Il doit joindre à ces qualités la ruse et l’intelligence, pour être propre à les gouverner. C’est lui qui règle leurs différends, même là où existe une justice régulière ; c’est lui qui les guide la nuit, lorsqu’ils vont voler les troupeaux ou détrousser les voyageurs sur la grande route : le butin se partage entre eux, après avoir prélevé pour le comte un tiers du tout. »

» Ces comtes, étant élus pour faire le bien de la troupe ou de la famille, étaient exposés à être dégradés s’ils ne contentaient pas leurs sujets. L’emploi n’était pas héréditaire, et, quels que fussent ses avantages et ses privilèges, il avait ses inconvénients et ses périls. Au comte le soin de préparer une expédition et de la l’aire réussir. Si elle échouait, s’il ne parvenait pas à rendre la liberté à ceux des siens qui restaient prisonniers, si surtout il les laissait périr, sur lui retombait tout le blâme, et il se voyait nommer un nouveau chef qui succédait à tous ses droits. Le seigneur comte des gitanos avait une sorte de privilège féodal : c’était celui de la chasse au chien et au faucon. Naturellement il en jouissait à ses risques ; car on pense bien qu’il ne chassait que sur la terre d’autrui : or le seigneur gitano pouvait fort bien rencontrer le vrai seigneur du domaine. Une ballade traditionnelle nous apprend l’histoire d’un comte Pépé qui, ayant voulu s’opposer au droit de chasse d’un chef gitano, n’y parvint qu’en le tuant. La veuve du mort, en franche Égyptienne, dérobe alors le fils du vainqueur et l’élève parmi les gitanos. Avec le temps, le fils du comte Pépé, nommé comte, veut, comme son père putatif, chasser sur les terres de son véritable père, et tue celui-ci sur la place même qui avait vu tomber le chef, vengé ainsi par un parricide.

» Voici ce qu’on lit dans les Disquisitions magiques de Martin del Rio ; « Lorsqu’en l’année 1581 je traversais l’Espagne avec mon régiment, une multitude de gitanos infestait les campagnes. Il arriva que la veille de la Fête-Dieu, ils demandèrent a être admis dans la ville pour y danser en l’honneur de la fête, selon un antique usage. Ils l’obtinrent ; mais la moitié du jour ne s’était pas écoulée, qu’un grand tumulte éclata à cause du grand nombre de vols commis par les femmes de ces misérables ; là-dessus, ils sortirent par les faubourgs et se rassemblèrent près de Saint-Marc, magnifique hôpital des chevaliers de Saint-Jacques, où les agents de la justice, ayant voulu les arrêter, se virent repousser par la force des armes. Cependant, je ne sais comment cela se fit, mais tout à coup tout s’apaisa. Ils avaient, à cette époque, pour comte un gitano qui parlait l’espagnol aussi purement qu’un natif de Tolède ; ce comte connaissait tous les ports de l’Espagne, tous les chemins et passages des provinces, la force des villes, le nombre des habitants, leurs propriétés à chacun ; bref, il n’ignorait rien de ce qui concernait le secret de l’État, et il s’en vantait publiquement. » Évidemment, aux yeux de del Rio, ce gitano était une espèce de sorcier ; car, à cette époque, tous les gitanos étaient considérés comme des étrangers, et il ne lui paraissait pas naturel qu’ils fussent capables de parler purement l’idiome castillan.