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nique au cerveau. On prétend aussi que le mauvais œil jeté par une femme est plus funeste que celui que vous jette, un homme. Voici comment cette maladie, est traitée chez les juifs de Barbarie :

» Dès qu’ils se sentent frappés, ils envoient chercher le médecin le plus renommé pour cette espèce de cas. En arrivant, le docteur prend son mouchoir ou sa ceinture, fait un nœud à chaque bout, mesure trois palmes avec sa main gauche, fait un nœud à chaque mesure, et se ceint trois fois la tête de la ceinture ou du mouchoir, en prononçant beraka ou bénédiction : Ben porat Josef, ben porat ali ain (Joseph est un rameau fécond, un rameau près d’une source) ; puis il se remet à mesurer la ceinture ou le mouchoir, et s’il trouve trois palmes et demie au lieu de trois qu’il a mesurées auparavant, il pourra vous nommer la personne qui a jeté le mauvais œil. La personne étant connue, la mère, la femme ou la sœur du patient sort en prononçant à haute voix le nom du coupable ; elle ramasse un peu de terre devant la porte de sa maison et un peu encore devant celle de sa chambre à coucher ; on lui demande ensuite de sa salive le matin avant son déjeuner ; on va chercher au four sept charbons ardents qu’on éteint dans l’eau du bain des femmes. Ces quatre ingrédients, la terre, la salive, les charbons, l’eau, étant malaxés dans un plat, le patient en avale trois gorgées, et le reste est enterré par quelqu’un qui fait trois pas à reculons en s’écriant : « Puisse le mauvais œil être enseveli sous terre ! » Voilà comment on procède si le coupable est connu ; mais dans le cas contraire on prend un verre, on se tient sur la porte, et l’on force tous les passants de jeter dans ce verre un peu de salive. Le mélange avec le charbon et l’eau du bain a lieu ensuite, et l’on applique la mixtion à l’œil du patient, qui a soin de s’endormir sur le côté gauche : le lendemain matin il se réveille guéri.

» Peut-être cette superstition comme beaucoup d’autres est-elle fondée sur une réalité physique. J’ai observé que l’on croit surtout au mauvais œil dans les pays chauds où la lune et le soleil ont un rayonnement très-éclatant. Que dit l’Écriture, ce livre merveilleux, où l’on trouve à éclaircir tous les mystères ? « Ni le soleil ne te frappera le jour, ni la lune la nuit. » (Ps. cxxxi, 6.) Que ceux qui veulent éviter le mauvais œil, au lieu de se fier aux amulettes, aux charmes et aux antidotes des gitanos, se gardent du soleil, car il a un mauvais œil qui produit des fièvres cérébrales ; qu’ils ne dorment pas la tête découverte sous les caressants rayons de la lune, car elle a aussi un regard empoisonné qui altère la vision et frappe même de cécité. »

Yffrotte, roi de Gothie et de Suède, qui mourut sur le bord de la mer où il se promenait, frappé des cornes d’une vache que l’on pensa être certainement une sorcière convertie en icelle, laquelle se voulait venger de cette manière de ce roi pour quelque tort qu’elle avait reçu de lui[1].

Yormoungandour, serpent monstrueux des mythologies scandinaves, tellement grand qu’il peut entourer la terre de ses replis.

Youf (Marie-Anne), grosse paysanne qui se fit traiter il y a quelques années par un sorcier, avec les circonstances que voici, qui se sont exposées devant le tribunal correctionnel de Saint-Lô.

Elle avait mal au genou ; les médecins n’y faisant rien, elle apprend qu’elle peut être guérie par un sorcier d’Écrammeville nommé Lebrun. Elle va trouver Marie Ledezert, qui est l’intermédiaire habituelle de cet homme, lui donne de l’argent, des denrées de toute espèce, et la supplie d’aller consulter ce grand docteur, ce savant sorcier qui guérit tous les maux. Marie Ledezert se laisse toucher ; accompagnée de mademoiselle Lamare, que ses trente-six ans auraient dû rendre plus sage, on va consulter le devin. La justice, jalouse de ses succès, le tenait alors sous les verrous, dans la prison de Coutances, comme prévenu d’avoir causé la mort d’une fille en lui administrant des drogues pernicieuses. On se rend à Coutances, on régale le sorcier dans sa geôle ; on en revient avec une précieuse consultation qui doit, avant trois mois, désanchiloser le malheureux genou. Le remède du reste n’était pas difficile à composer : de l’if, du lierre terrestre, de la fumeterre, quelque peu d’arsenic, et… quelqu’autre chose que nous ne pouvons désigner qu’en nous servant de l’expression des témoins, de la boue de blé ; le tout était bien et dûment pilé dans un mortier emprunté chez un pâtissier, qui entendait énumérer à l’audience, au milieu du rire général, les curieux ingrédients dont on aime à croire que sa pâtisserie n’a rien emprunté.

Tout ceci semble bien vulgaire, mais l’efficacité du remède consistait dans ce qui suit. Avant le lever du soleil, il fallait qu’une branche de sureau fût coupée par une jeune fille vierge ; on en mettait ensuite un morceau sur chaque croisée et sous chaque porte ; tous les gens de la famille portaient au cou un petit sachet rempli de sel bénit, avec une conjuration et le nom de celui que l’on soupçonnait du maléfice ; puis, en médicamentant le malade, on lui faisait tenir un cierge, et Marie Ledezert récitait à haute voix la conjuration suivante (nous respectons l’orthographe et le style) :

« Ô Dieu de la mystérieuse cabale, gouverneur des astres, présidant au premier mouvement de tes disciples ! quel mal a fait Marie-Anne

  1. Torquemada, Hexameron, p. 428.