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trième doigt prouve une grande fermeté de caractère et beaucoup d’énergie et d’obstination dans la volonté.

» Comme étude, la crânioscopie est auprès de la xeirscopie un enfantillage. On peut devenir crânioscope sans connaître le moins du monde l’anatomie ; la besogne d’ailleurs est toute mâchée : avec une tête de carton verni sur laquelle sont indiquées des cases soigneusement marquées par des numéros, on peut tout apprendre. Il n’en est pas de même en xeirscopie ; c’est une étude longue, patiente, qui nécessite des connaissances préliminaires. Dans la pratique, il faut de l’aptitude et beaucoup de tact. En s’intitulant phrénologues, les crânioscopes ont quelque peu étendu leur domaine, mais en définitive tout chez eux se réduit à des bosses plus ou moins prononcées. Les coryphées de la science, les docteurs, les professeurs ont pu éprouver le besoin de pénétrer plus avant dans les mystères, d’assigner une place distincte à chaque passion, à chaque penchant, à chaque sensation ; mais cette besogne primordiale terminée, la science s’est trouvée créée tout entière ; elle a été livrée sans réserve à la pratique. Quelle différence en ce, qui concerne la main ! là, pas de bosses, pas de cavernes, mais des détails infinis à étudier. C’est à ce point que nous sommes contraint d’avouer qu’en lisant l’ouvrage, trop savant selon nous, du docteur Sargenkœnig, nous nous sommes perdu cent fois au milieu de ses descriptions anatomiques. Les crânioscopes auront beau faire, ils auront beau prendre des crânes monstrueux et en multiplier les divisions, ils n’arriveront jamais à y placer toutes les opérations, bonnes ou mauvaises, de l’intelligence humaine. Dans une main, au contraire, il y a place pour tout.

» Prenez la paume de la main, ou, pour parler correctement, la face palmaire. Cette partie de la main qui se termine à son extrémité supérieure à l’attache des premières phalanges, à son extrémité inférieure à l’articulation corpo-brachiale, d’un côté à l’éminence thénar, de l’autre à l’éminence hypothénar, n’a pas, chez les hommes les plus herculéennement constitués, plus de trois pouces carrés d’étendue, et elle contient un monde de passions, de désirs, de penchants vertueux ou criminels. L’éminence thénar seule, c’est-à-dire cette grosseur qui a le pouce pour prolongement, compte douze muscles au moins qui viennent s’y rattacher et s’y confondre. Un de ces muscles, par une saillie imperceptible à l’œil, mais reconnaissable au toucher d’une main exercée, révèle chez celui qui peut offrir cet heureux indice le don de l’éloquence au plus haut degré. Comment l’éloquence va-t-elle se nicher là ? Pour vous l’expliquer, il faudrait vous conduire à travers un labyrinthe inextricable, dans lequel nous nous sommes perdu le premier : nous aimons mieux vous engager à croire le docteur Sargenkœnig sur sa parole. D’ailleurs, des planches sont jointes au texte du livre ; et quand vous aurez vu l’éminence thénar de Pitt mise à nu, et que vous l’aurez comparée à celle d’un homme ordinaire, il vous sera loisible, comme à nous, de croire sans comprendre.

» Le docteur Sargenkœnig a enrichi, à ce qu’il paraît, le musée de l’université d’Iéna d’une nombreuse collection xeirscopique ; il a fourni des mains prises dans toutes les conditions sociales ; nous regrettons que celle de Napoléon manque ; nous aurions aimé à voir expliquer par le professeur comment cette main si blanche, si douce, aux muscles si peu accusés, pouvait indiquer une aussi grande puissance de volonté, tant de génie, tout ce que les phrénologues enfin ont trouvé dans la tête du grand homme. Le docteur s’en serait tiré, nous n’en doutons pas, car il se tire de tout à sa satisfaction. Mais il n’hésite pas à le déclarer, les mains reproduites en plâtre ne lui fournissent que des indications fort incertaines. La xeirscopie ne s’exerce avec avantage que sur la main naturelle et vivante ; pour elle, les secrets de la nature doivent être pris sur le fait ; elle laisse à la crânioscopie les bosses permanentes.

» On comprend que dans un pareil livre les exemples invoqués doivent être nombreux. Les exemples prouvent beaucoup, mais c’est quand ils sont eux-mêmes prouvés, et pour ajouter foi à ce que le docteur fournit à l’appui de son système, il faut être déjà prédisposé à croire. Un jour, par exemple, le docteur reçoit la visite d’un individu qui se présentait à lui avec une lettre d’introduction. C’était, lui disait-on, un savant distingué qui désirait se perfectionner auprès de lui. M. Sargenkœnig tend la main à son visiteur qui la lui serre avec effusion. Tout à coup le docteur retire sa main comme si un fer rouge l’eût brûlée. Fuyez, malheureux, lui dit-il, ma maison ne peut pas servir d’asile à un meurtrier. L’individu se trouble, pâlit, tombe aux genoux du professeur et avoue son crime. On rencontre vingt ou trente événements de ce genre dans le Traité de xeirscopie. Nous sommes trop poli et nous savons trop bien ce que nous devons à un savant étranger pour révoquer sa sincérité en doute, mais tout le monde pensera avec nous qu’il faudra encore bien des exemples, et des exemples bien authentiques, pour que l’on se décide à substituer la xeirscopie à l’épreuve de la cour d’assises.

» Nous avons cherché avec soin dans le livre du professeur allemand quelques indications propres à établir que certains proverbes relatifs à la main, et nous professons un grand respect pour les proverbes, sont fondés en raison. Ainsi on dit ordinairement des personnes dont les veines de la main sont saillantes et très-visibles : qui voit ses veines voit ses peines. Nous n’avons rien trouvé. Cette particularité s’explique tout natu-

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