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blie depuis plusieurs siècles dans d’autres contrées. Il y a longtemps que les, Allemands sont persuadés que les morts mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux, et qu’il est facile de les entendre grogner en broyant ce qu’ils dévorent[1]. Philippe Rherius, au dix-septième siècle, et Michel Raufft, au commencement du dix-huitième, ont même publié des traités sur les morts qui mangent dans leurs sépulcres[2].

Après avoir parlé de la persuasion où sont les Allemands qu’il y a des morts qui dévorent les linges et tout ce qui est à leur portée, même leur propre chair, ces écrivains remarquent qu’en quelques endroits de l’Allemagne, pour empêcher les morts de mâcher, on leur met dans le cercueil une motte de terre sous le menton ; qu’ailleurs on leur fourre dans la bouche une petite pièce d’argent et une pierre, et que d’autres leur serrent fortement la gorge, avec un mouchoir. Ils citent des morts qui se sont dévorés eux-mêmes dans leur sépulcre.

On doit s’étonner de voir des savants trouver quelque chose de prodigieux dans des faits aussi naturels. Pendant la nuit qui suivit les funérailles du comte Henri de Salm, on entendit dans l’église de l’abbaye de Haute-Seille, où il était enterré, des cris sourds que les Allemands auraient sans doute pris pour le grognement d’une personne, qui mâche ; et le lendemain, le tombeau du comte ayant été ouvert, on le trouva mort, mais renversé et le visage en bas, au lieu qu’il avait été inhumé sur le dos. On l’avait enterré vivant. On doit attribuer à une cause semblable l’histoire rapportée par Raufft d’une femme de Bohême qui, en 1345, mangea dans sa fosse la moitié de son linceul sépulcral.

Dans le dernier, siècle, un pauvre homme ayant été inhumé précipitamment dans le cimetière, on entendit pendant la nuit du bruit dans son tombeau ; on l’ouvrit le lendemain, et on trouva qu’il s’était mangé les chairs des bras. Cet homme, ayant bu de l’eau-de-vie avec excès, avait été enterré vivant.

Une demoiselle d’Ausbourg tomba dans une telle léthargie qu’on la crut morte ; son corps fut mis dans un caveau profond, sans être couvert de terre ; on entendit bientôt quelque bruit dans le tombeau, mais on m’y fit point attention. Deux ou trois ans après, quelqu’un de la même famille mourut ; on ouvrit le caveau, et l’on trouva le corps de la demoiselle auprès de la pierre qui en fermait l’entrée ; elle avait en vain tenté de déranger cette pierre, et elle n’avait plus de doigt à la main droite, qu’elle s’était dévorée de désespoir.

Tournefort raconte, dans le tome Ier de son Voyage au Levant, la manière dont il vit exhumer un broucolaque de l’île de Mycone, où il se trouvait en 1701.

« C’était un paysan d’un naturel chagrin et querelleur, circonstance qu’il faut remarquer dans de pareils sujets ; il fut tué à la campagne, on ne sait ni par qui, ni comment. Deux jours après qu’on l’eut inhumé dans une chapelle de la ville, le bruit courut qu’on le voyait la nuit se promener à grands pas, et qu’il venait dans les maisons renverser les meubles, éteindre les lampes, embrasser les gens par derrière et faire mille tours d’espiègle. On ne lit qu’en rire d’abord. Mais, l’affaire devint sérieuse lorsque les plus honnêtes gens commencèrent à se plaindre. Les papas (prêtres grecs) convenaient eux-mêmes du fait, et sans doute ils avaient leurs raisons. Cependant le spectre continuait la même vie. On décida enfin, dans une assemblée des principaux de la ville, des prêtres et des religieux, qu’on attendrait, selon je ne sais quel ancien cérémonial, les neuf jours après l’enterrement. Le dixième jour, on dit une messe dans la chapelle où était le corps, afin de chasser le démon que l’on croyait s’y être renfermé. La messe-dite, on déterra le corps et on se mit en devoir de lui ôter le cœur ; ce qui excita les applaudissements de toute l’assemblée. Le corps sentait si mauvais, que l’on fut obligé de brûler de l’encens ; mais la fumée, confondue avec la mauvaise odeur, ne fit que l’augmenter et commença d’échauffer la cervelle de ces pauvres gens : leur imagination se remplit de visions. On s’avisa de dire qu’il sortait une épaisse fumée de ce corps. Nous n’osions pas assurer, dit Tournefort, que c’était celle de l’encens. Oh ne criait que Vroucolacas dans la chapelle et dans la place. Le bruit se répandait dans les rues comme par mugissements, et ce nom semblait fait pour tout ébranler. Plusieurs assistants assuraient que le sang était encore tout vermeil ; d’autres juraient qu’il était encore tout chaud ; d’où l’on concluait que le mort avait grand tort de n’être pas mort, ou, pour mieux dire, de s’être laissé ranimer par le diable. C’est là précisément l’idée qu’on a d’un broucolaque ou vroucolaque. Les gens qui l’avaient mis en terre prétendirent qu’ils s’étaient bien aperçus qu’il n’était pas roide, lorsqu’on le transportait de la campagne à l’église pour l’enterrer, et que, par conséquent, c’était un vrai broucolaque. C’était le refrain. Enfin, on fut d’avis de brûler le cœur du mort, qui, après cette exécution, ne fut pas plus docile qu’auparavant. On l’accusa encore de battre les gens la nuit, d’enfoncer les portes, de déchirer les habits et de vider les cruches et les bouteilles. C’était un mort bien altéré. Je crois, ajoute Tournefort,

  1. Les anciens croyaient aussi que les morts mangeaient. On ne dit pas s’ils les entendaient mâcher ; mais il est certain qu’il faut attribuer à l’idée qui conservait aux morts la faculté de manger d’habitude des repas funèbres qu’on servait, de temps immémorial et chez tous les peuples, sur la tombe des défunts.
  2. De masticatione mortuorum in tumulis.