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trouva assassiné, avec sa sentence pendue au poignard ; il vit le meurtrier qui se retirait gravement et n’osa pas le poursuivre.

C’était en l’année 1400. Il y avait alors cent mille francs-juges en Allemagne, et le tribunal vehmique était devenu si puissant, que tous les princes étaient contraints à s’y affilier. Sigismond, comme nous l’avons dit, le présida quelquefois. L’empereur Charles IV, pareillement de la maison de Luxembourg, trouva dans l’assistance des francs-juges une partie de sa force. Sans eux, l’odieux Wenceslas n’eût pu être déposé ; et de graves chroniques leur attribuent la mort de Charles le Téméraire.

Nous avons rapporté sommairement tout ce qui peut donner une idée de la vieille cour vehmique, en nous conformant aux récits de tous les historiens. Il paraît certain que cette institution est due à Charlemagne, mais non pas pour opprimer par la terreur, pour protéger au contraire le faible contre le fort. Lorsqu’il fonda ce tribunal tout-puissant, il établit à côté un refuge : la sentence était signifiée ; et tout criminel condamné par les frey graves, si c’était pour un délit religieux ou politique, pouvait, en vertu d’une loi formelle, éviter la mort en s’exilant. Le pays ainsi était délivré du coupable.

Dans la suite, toujours fidèles à leur mission de protéger la faiblesse et l’innocence, les francs-juges ne furent l’effroi que des hommes puissants. Un seigneur féodal qui tuait ou pillait ses sujets tombait bientôt sous le poignard des francs-juges. Un brigand s’arrêtait devant le sentier du crime, parce qu’il savait qu’en le parcourant il trouverait le tribunal des secrets vengeurs de l’Éternel. Les souverains, qui n’étaient pas exempts de la même crainte, repoussaient en tremblant les tentations de la tyrannie. Et, remarquez-le, dans les pays où le tribunal secret s’est étendu, les iniquités féodales sont bien plus rares. Vous ne trouverez ni en Allemagne, ni dans le nord des Gaules, les sanglantes horreurs qui rendent l’histoire d’Angleterre si épouvantable au moyen âge. L’affreux despotisme seigneurial, qui pesait sur la France du milieu, fut généralement léger au Nord. Les communes se formèrent, le commerce s’établit parce qu’il y avait une puissance occulte qui protégeait le peuple et qui atteignait les nobles voleurs de grand chemin.

Pour frapper vivement les grossières imaginations des temps barbares, il fallait bien que cette puissance fût mystérieuse et terrible. Un baron guerroyeur n’eût pas craint une petite armée ; il pâlissait au seul nom des francs-juges. Il savait qu’on n’évitait pas aisément leur sentence.

Quelquefois il arriva qu’un franc-juge, rencontrant un de ses amis condamné par le tribunal secret, l’avertit du danger qu’il courait, en lui disant : On mange ailleurs aussi bon pain qu’ici ; mais dès lors les francs-juges, ses confrères, étaient tenus, par leurs serments, de pendre le traître sept pieds plus haut que tout autre criminel condamné au même supplice. C’est qu’il fallait, nous le répétons, que cette justice fût inévitable. Les foudres de Rome étaient le seul frein des hommes qui pensaient ; le tribunal secret, la seule terreur des hommes matériels.

À la fin du quinzième siècle, les francs-juges devinrent moins nécessaires. Alors donc ce tribunal, dont la vaste étendue occupée par cent mille juges faisait ombrage aux souverains, car il pouvait être dangereux, attira leur attention. Ils cherchèrent à le supprimer. Celui qui seul y parvint fut l’époux de Marie de Bourgogne. Maximilien, élevé à l’empire, abolit à jamais, en 1512, le tribunal vehmique. Charles-Quint, son petit-fils et son successeur, maintint cette abolition, dont il ne resta que quelques vestiges impuissants.

Nous avons voulu, dans les notes qu’on vient de lire, mettre les savants sur une voie nouvelle relativement à la cour vehmique. Peut-être un investigateur plus habile montrera-t-il dans l’histoire les services immenses qu’elle a rendus.

Trithème (Jean), savant abbé de l’ordre de Saint-Benoît, qui chercha à perfectionner la stéganographie ou l’art d’écrire en chiffres. On prit ses livres pour des ouvrages magiques ; et Frédéric II, électeur palatin, fit brûler publiquement les manuscrits originaux qui se trouvaient dans sa bibliothèque. Mort en 1516.

M. Audin, à qui l’histoire vraie doit de si beaux, de si consciencieux et de si savants travaux, a publié, dans ses études sur les couvents, une étude très-remarquable de Trithème, regardé dans le Rhingau comme un magicien de l’espèce de Faust, évoquant les morts et faisant des prodiges.

Trodds, petits lutins danois, qui sont toujours habillés de gris et coiffés d’un chapeau rouge.

Troian, roi de Servie, dans les temps obscurs. Sa légende a été célébrée dans un klechd ou chant populaire de la Servie, que la Revue du Nord a publié[1]. Ce roi ne pouvait supporter le soleil et ne se sentait vivre que la nuit. Il allait la nuit à ses rendez-vous et avait grand soin de rentrer avant le jour dans son palais, sans lumière. Mais un matin, oubliant l’approche de l’aurore, il prolongea sa visite malgré l’appel réitéré de son fidèle serviteur. Lorsqu’il se remit en route, l’aurore s’emparait du ciel ; il eut beau presser son cheval pour regagner sa demeure avant les premiers rayons du soleil, il en fut atteint à mi-chemin, sauta à bas de son cheval, s’étendit sur la terre humide et ordonna à son serviteur de le couvrir d’un épais manteau. Le fidèle varlet obéit,

  1. Livraison de mai 1837.