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reconnaître un moyen qui est encore pour nous un mystère. C’étaient des mots d’ordre en saxon : stock, stein, grass, grein, et quelques autres qui peuvent bien n’être que des conjectures. Du reste le secret sè gardait si étroitement, que l’empereur lui-même ne savait pas, dit Mœser, pour quels motifs le tribunal secret vehmique faisait mourir un coupable.

Pour l’ordinaire, quand la cour vehmique avait proscrit un accusé, tous les francs-juges avaient ordre de le poursuivre ; et celui qui le rencontrait devait le tuer. S’il était trop faible pour ce métier de bourreau, ses confrères, en vertu de leurs serments, étaient tenus de lui prêter secours. Nous suivons toujours la masse des historiens, qui dans ces détails au moins sont exacts. Parfois, foulant aux pieds toutes les formes judiciaires, le tribunal secret condamnait un accusé sans le citer, sans l’entendre, sans le convaincre. Mais d’ordinaire on le sommait de comparaître, par quatre citations. Ceux qui étaient chargés de citer l’accusé épiaient, dans les ténèbres, le mo-

 
 
ment favorable pour clouer à sa porte la sommation. Cette pièce portait d’abord le nom du coupable, écrit en grosses lettres ; puis le genre de ses crimes vrais ou prétendus, ensuite ces mots : « Nous, les secrets vengeurs de l’Éternel, les juges implacables des crimes, et les protecteurs de l’innocence, nous te citons d’ici à trois jours devant le tribunal de Dieu. Comparais ; comparais ! »

La personne citée se rendait à un carrefour où aboutissaient quatre chemins. Un franc-juge, masqué et couvert d’un manteau noir, s’approchait lentement en prononçant le nom du coupable qu’il cherchait, il l’emmenait en silence et lui jetait sur le visage un voile épais, pour l’empêcher de reconnaître le chemin qu’il parcourait. Les sentences se rendaient toujours à l’heure de minuit. Il n’était point de lieu qui ne pût servir aux séances du tribunal secret, tout caché qu’il était et à l’abri de toute surprise : c’était souvent une caverne. L’accusé y descendait, et on lui découvrait le visage ; il voyait alors ces justiciers qui étaient partout et nulle part, et dont les bras s’étendaient partout, comme la présence de l’Éternel. Mais tous ces juges étaient masqués, ils ne s’exprimaient que par signes, à la lueur des torches. Quand l’accusé avait parlé pour sa défense, et que l’heure du jugement était venue, on sonnait une cloche ; de vives lumières éclairaient l’assemblée, le prévenu se voyait au milieu d’un cercle nombreux de juges noirs. La cour qui condamna ainsi Conrad de Langen était composée de trois cents francs-juges, et un jour que l’empereur Sigismond, de la maison de Luxembourg, présidait le tribunal secret, mille juges siégeaient autour de lui.

Pour les crimes avérés, pour les longs brigandages, on ne citait point, parce que le coupable, dès qu’il savait que la cour vehmique avait les yeux sur lui, se hâtait de fuir devant les poignards de cette justice inévitable ; il abandonnait pour jamais la terre rouge ; c’est le nom que les invisibles donnaient à la Westphalie, siège de leurs séances, centre de leurs pouvoirs.

Quand les juges chargés d’exécuter les sentences du tribunal secret avaient trouvé et saisi le condamné, ils le pendaient, avec une corde faite de branches d’osier tordues et tressées, au premier arbre qui se rencontrait sur le grand chemin. S’ils le poignardaient, selon la teneur du jugement, ils attachaient le cadavre à un tronc d’arbre et laissaient dans la plaie le poignard, au manche duquel était attachée la sentence, afin que l’on sût que ce n’était pas là un meurtre, ni un assassinat, mais une justice des francs-juges.

On ne pouvait rien objecter aux sentences de ce tribunal ; il fallait sur-le-champ les exécuter avec la plus parfaite obéissance. Chaque juge s’était obligé, par d’épouvantables serments, à révéler tous les crimes qui viendraient à sa connaissance, dût-il dénoncer son père ou sa mère, son frère ou sa sœur, son ami ou ses parents sans exception. Il avait juré aussi de donner la mort à ce qu’il avait de plus cher, dès qu’il en recevrait l’ordre.

On cite ce mot du duc Guillaume de Brunswick, qui était initié au tribunal secret : « Il faudra bien, dit-il un jour tristement, que je fasse pendre le duc Adolphe de Sleswig, s’il vient me voir, puisque autrement mes confrères me feront pendre moi-même. »

Un prince de la même famille, le duc Frédéric de Brunswick, qui fut élu empereur un instant, ayant été condamné par les invisibles, ne marchait plus qu’entouré d’une garde nombreuse. Mais un jour qu’une nécessité le força à s’éloigner de quelques pas de sa suite, le chef de ses gardes, le voyant tarder à reparaître, l’alla joindre à l’entrée du petit bois où il s’était arrêté, le