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frappent du pied en s’écriant : Nous voici ! nous voici[1].

Certains docteurs musulmans prétendent que la terre est portée sur les cornes d’un grand bœuf ; quand il baisse la tête, disent-ils, il cause les tremblements de terre[2].

Les lamas de Tartarie croient que Dieu, après avoir formé la terre, l’a posée sur le dos d’une immense grenouille jaune, et que toutes les fois que cet animal prodigieux secoue la tête ou allonge les pattes, il fait trembler la partie de la terre qui est dessus[3].

Trésors. On croit dans l’Écosse qu’il y a sous les montagnes des trésors souterrains gardés par des géants et des fées ; en Bretagne, on croit qu’ils sont gardés par un vieillard, par une vieille, par un serpent, par un chien noir ou par de petits démons, hauts d’un pied. Pour se saisir de ces trésors, il faut, après quelques prières, faire un grand trou sans dire un mot. Le tonnerre gronde, l’éclair brille, des charrettes de feu s’élèvent dans les airs, un bruit de chaînes se fait entendre ; bientôt on trouve une tonne d’or. Parvient-on à l’élever au bord du trou, un mot qui vous échappe la précipite dans l’abîme à mille pieds de profondeur. — Les Bretons ajoutent qu’au moment où l’on chante l’évangile des Rameaux, les démons sont forcés d’étaler leurs trésors eh les déguisant sous des formes de pierres, de charbons, de feuillages. Celui qui peut jeter sur eux des objets consacrés les rend à leur première forme et s’en empare[4]. Voy. Argent.

Tribunal secret. C’est un de nos princes qui a fondé ce tribunal célèbre des francs-juges (des frey graves), qui retentit si puissamment dans tout le moyen âge, qui plane, si imposant et si mystérieux, sur la Germanie et le nord de la vieille Gaule et dont l’institution, le but, les actes ont été appréciés jusqu’à présent d’une manière si incomplète et souvent si fausse.

Il est possible qu’on s’étonne du point de vue sous lequel nous considérons la cour vehmique ; mais c’est après de mûres recherches que nous croyons avoir rencontré la vérité ; et nous pensons que notre façon de voir jettera sur l’histoire un jour nouveau, sur cette histoire des siècles écoulés qui est tout entière à refaire, non plus avec les vaines théories de ces hommes qui parlent et ne savent pas faire autre chose, tristes eunuques de sérail dont nous sommes assaillis, mais avec l’étude profonde des faits à reproduire, si animés, si vivants, si variés, si dramatiques.

Le nom de tribunal secret se comprend ; celui de cour vehmique est plus obscur : il vient du mot saxon vehmen, qui veut dire condamnateur, et non de væ mihi, comme l’ont dit ceux qu’on appelle les doctes. Jamais une cour de justice ne s’est donné un nom injurieux ou absurde. L’histoire, cette muse si pauvre et tant abusée, ne nous a conservé, sur le tribunal secret de Westphalie, que des notions peu satisfaisantes, parce que les francs-juges qui le composaient s’engageaient par un serment terrible au silence le plus absolu, qu’on osait à peine prononcer le nom de ce tribunal redouté, et que les écrivains se contentaient, plus qu’aujourd’hui, de saisir les superficies.

On lit dans le tome III, page 624, du Recueil des historiens de Brunswick, publié par Leibniz, que Charlemagne, vainqueur pour la dixième fois, en 779, des Saxons, peuples indomptables, qui n’avaient leur plaisir que dans le sang, leur richesse que dans le pillage, et qui honoraient leurs dieux avec des victimes humaines, envoya un ambassadeur au pape Léon III (qui ne régnait pas alors) pour lui demander ce qu’il devait faire de ces rebelles qu’il ne pouvait soumettre, et que pourtant il ne voulait pas exterminer. Le saint-père, ayant entendu le sujet de l’ambassade, se leva sans répondre un mot et alla dans son jardin, où ayant ramassé des ronces et de mauvaises herbes, il les suspendit à un gibet qu’il venait de former avec des bâtons. L’ambassadeur à son retour raconta à Charlemagne ce qu’il avait vu ; et le roi, car il n’était pas encore empereur, institua le tribunal secret, pour contraindre les païens du Nord à embrasser le Christianisme. Tous les historiens ont répété ce récit altéré. Bientôt, poursuivent-ils, toute la Germanie se remplit de délateurs, d’espions et d’exécuteurs. Le tribunal secret connut de tous les grands crimes, et son autorité s’étendit sur tous les ordres de l’État ; les électeurs, les princes, les évêques mêmes y furent soumis, et ne pouvaient être relevés de cette juridiction, dans certains cas, que par le pape ou par l’empereur. Néanmoins, dès le treizième siècle, les ecclésiastiques et les femmes n’étaient plus recherchés par la cour vehmique.

Les francs-juges, c’est le nom qu’on donnait généralement aux membres du tribunal secret, étaient ordinairement inconnus. Ils avaient des usages particuliers et des formalités cachées pour juger les malfaiteurs, et jamais, dit Æneas Sylvins, il ne s’est trouvé personne parmi eux à qui la crainte ou l’argent ait fait révéler le secret. Ils parcouraient les provinces pour connaître les criminels, dont ils prenaient les noms ; ils les accusaient ensuite devant le tribunal invisible ; on les citait ; on les condamnait ; on les inscrivait sur un livre de mort ; et les plus jeunes étaient chargés d’exécuter la sentence. Tous les membres faisaient cause commune ; lors même qu’ils ne s’étaient jamais vus, ils avaient pour se

  1. Voyages au Pérou faits en 1794, 1794, par les PP. Manuel Sobre, Viela et Barcelo.
  2. Voyages à Constantinople, 1800.
  3. Voyage de J. Bell d’Antermoni, etc.
  4. Cambry, Voyage au Finistère, t. II, p. 15.