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du diable ; ils les tient assujettis à sa volonté ; ils sont dans les pièges du diable, qui les tient captifs pour en faire ce qu’il lui plaît. Dieu règle néanmoins le pouvoir du démon, et ne lui permet pas d’en user toujours à sa volonté ; mais il y a cette différence entre les méchants et les bons, qu’à l’égard des méchants il faut que Dieu borne le pouvoir que le diable a de lui-même sur eux, pour l’empêcher de les porter à toutes sortes d’excès ; au lieu qu’à l’égard des bons il faut, afin que le diable puisse les tourmenter, que Dieu même lui en donne la puissance, qu’il n’aurait pas sans cela.

» Tout le monde est rempli de démons qui, comme des lions invisibles, rôdent à l’entour de nous et ne cherchent qu’à nous dévorer. Les hommes sont si vains dans leur aveuglement, qu’ils se font un honneur de ne pas les craindre et presque de ne pas y croire.

» C’est une faiblesse d’esprit, selon plusieurs, d’attribuer aux démons quelque effet, comme s’ils étaient dans le monde pour n’y rien faire, et qu’il y eut quelque apparence que Dieu, les ayant autrefois laissés agir, il les ait maintenant réduits à une entière impuissance. Mais cette incrédulité est beaucoup plus supportable quand il ne s’agit que des effets extérieurs. Le plus grand mal est qu’il y a peu de personnes qui croient sérieusement que le diable les tente, leur dresse des pièges, et rôde à l’entour d’eux pour les perdre, quoique ce soit ce qu’il y a de plus certain. Si on ne le croyait, on agirait autrement ; on ne laisserait pas au démon toutes les portes de son âme ouvertes par la négligence et les distractions d’une vie relâchée, et l’on prendrait les voies nécessaires pour lui résister.

» Il est bien rare de trouver des gens frappés de la crainte des démons, et qui aient quelque soin de se garantir des pièges qu’ils leur tendent. C’est la chose du monde à quoi on tient le moins. Toute cette république invisible d’esprits mêlés parmi nous, qui nous voient et que nous ne voyons point, et qui sont toujours à nous tenter, en excitant ou en enflammant nos passions, ne fait pas plus d’impression sur l’esprit de la plupart des chrétiens que si c’était un conte et une chimère. Notre âme, plongée dans les sens, n’est touchée que par les choses sensibles. Ainsi elle ne craint point ce qu’elle ne voit point ; mais ces ennemis n’en sont pas moins à craindre pour n’être pas craints. Ils le sont, au contraire, beaucoup plus, parce que cette fausse sécurité fait leur force et favorise leurs desseins. C’est déjà pour eux avoir fait de grands progrès que d’avoir mis les hommes dans cette disposition. Comme ce sont des esprits de ténèbres, leur propre effet est de remplir l’âme de ténèbres et de s’y cacher. Hors les âmes qui vivent de l’esprit de Jésus-Christ, les démons possèdent toutes les autres.

» Le démon ne parle pas par lui-même, mais il parle par tous les hommes qu’il possède et à qui il inspire les sentiments qu’il voudrait faire passer dans notre cœur. Il nous parle par tous les objets du monde, qui ne frappent pas seulement nos sens, mais qui sont présentés à notre esprit sous une fausse image de grands biens et d’objets capables de nous rendre heureux. Il nous parle par nos propres sentiments et par ces mouvements qu’il excite dans notre âme, qui la portent à vouloir jouir de ces biens sensibles et à y chercher son bonheur. Ainsi nous sommes dans une épreuve continuelle de ces impressions des démons sur nous.

» Le démon, ne pouvant parler immédiatement au cœur et ne devant pas se manifester à nous, emprunte le langage des créatures et celui de notre chair et de nos passions, et il nous fait entendre par là tout ce qu’il désire. Il nous dit, par les discours d’un vindicatif, qu’il est bon de se venger ; par ceux d’un ambitieux, qu’il est bon de s’élever ; par ceux d’un avare, qu’il est bon de s’enrichir ; par ceux d’un voluptueux, qu’il est bon de jouir du monde. Il les fait parler en agissant sur leur imagination et en y excitant les idées qu’ils expriment par leurs paroles, et il joint en même temps à cette instruction extérieure le langage de nos désirs qu’il excite. Celui des exemples des personnes déréglées lui sert encore plus que celui de leurs paroles. Et enfin, la seule vue muette des objets du monde qu’il nous présente lui sert encore d’un langage pour nous dire que le monde est aimable et qu’il est digne d’être recherché.

» La malice et l’artifice du démon ont bien plus pour but en cette vie de rendre les hommes criminels que de les accabler de misères et de maux. Il espère bien se dédommager en l’autre vie de tous les ménagements dont il use en celle-ci. Mais comme il sait qu’il n’a de force et d’empire sur eux qu’à proportion qu’ils sont coupables, il tâche de les rendre plus coupables, afin de pouvoir les dominer et tourmenter plus cruellement et plus à son aise. Il prend donc pour l’ordinaire, dans cette vie, le parti d’exciter et de féconder les passions. Il tâche de procurer aux siens des richesses et des plaisirs, et de les faire réussir dans leurs injustes desseins. Il s’applique particulièrement à empêcher qu’ils ne lui échappent, et à éloigner d’eux tout ce qui pourrait les réveiller de leur assoupissement. Il emploie toutes sortes d’adresses et d’artifices pour les retenir dans ses liens. Il les environne de gens qui les louent et qui les autorisent dans leurs dérèglements, qui leur en ôtent le scrupule en leur proposant une infinité de mauvais exemples, qui les y confirment. Il les amuse et les entretient d’espérances trompeuses. Il les accable d’emplois, d’occupations, de desseins, de divertissements qui les empêchent de penser à eux ; et comme,