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cours de leur pays quand il en sera temps. L’entrée de leur grotte est très-difficile à trouver. Un jeune berger racontait à un voyageur qu’un jour son père, en cherchant à travers les rochers une chèvre qu’il avait perdue, était descendu par hasard dans cette grotte, et avait vu là dormir les trois hommes, qu’il savait être les trois Tell. L’un d’eux, se levant tout à coup pendant qu’il le regardait, lui demanda : « À quelle époque en êtes-vous dans le monde ? » Le berger, tout effrayé, lui répondit, sans savoir ce qu’il disait : « Il est midi. — Eh bien ! s’écria Tell, il n’est pas temps encore que nous reparaissions. » Et il se rendormit.

Plus tard, lorsque la Suisse se trouva engagée dans des guerres assez périlleuses, le vieux berger voulut aller réveiller les trois Tell ; mais il ne put jamais retrouver la grotte.

Tellez (Gabriel), plus connu sous le nom de Tirso de Molina, auteur du Diable prédicateur, drame dans le génie espagnol. À cinquante ans, ce poète dramatique renonça au théâtre et se fit religieux de l’ordre de la Merci. Nous faisons cette remarque parce qu’à propos de quelques plaisanteries un peu libres semées dans ses pièces, les critiques philosophes l’ont traité de moine licencieux, oubliant qu’il n’était pas moine quand il écrivait pour la scène.

Température. Les Grecs avaient des prêtres appelés Calazophylaces, dont les foliotions consistaient à observer les grêles et les orages, pour les détourner par le sacrifice d’un agneau ou d’un poulet. Au défaut de ces animaux, ou s’ils n’en tiraient pas un augure favorable, ils se découpaient le doigt avec un canif ou un poinçon, et croyaient ainsi apaiser les dieux par l’effusion de leur propre sang. Les Éthiopiens ont, dit-on, de semblables charlatans, qui se déchiquètent le corps à coups de couteau ou de rasoir pour obtenir la pluie ou le beau temps. Nous avons des almanachs qui prédisent la température pour tous les jours de l’année ; prenez toutefois un manteau quand Matthieu Laensberg annonce plein soleil.

Tempêtes. On croit, sur les bords de la Baltique, qu’il y a des sorciers qui, par la force de leurs enchantements, attirent la tempête, soulèvent les flots et font chavirer la barque du pêcheur. Voy. Éric, Finnes, Jacques Ier, etc.

Templiers. Vers l’an 1118, quelques pieux chevaliers se réunirent à Jérusalem pour la défense du saint sépulcre et pour la protection des pèlerins. Le roi Baudouin II leur donna une maison, bâtie aux lieux que l’on croyait avoir été occupés par le temple de Salomon ; ils prirent de là le nom de templiers et appelèrent temple toute maison de leur ordre.

Dans l’origine, ils ne vivaient que d’aumônes, et on les nommait aussi les pauvres de la sainte cité ; mais ils rendaient tant de services que les rois et les grands s’empressèrent de leur donner des biens considérables. Ils firent les trois vœux de religion. En 1128, au concile de Troyes, saint Bernard leur donna une règle[1]. En 1146, le pape Eugène détermina leur habit, sur lequel ils portaient une croix.

Cet ordre se multiplia rapidement, fit de très-grandes choses, et s’enrichit à tel point qu’à l’aurore du quatorzième siècle il possédait, en Europe seulement, neuf mille seigneuries. L’opulence avait amené la corruption ; les templiers s’étaient laissés entraîner dans l’hérésie albigeoise et leurs mœurs faisaient scandale. Il s’éleva bientôt contre eux cinq griefs : on les accusait d’hérésie, de blasphèmes, de mépris de la foi chrétienne, de reniement de Jésus-Christ et d’impuretés contre nature. On leur reprochait en même temps la magie, l’idolâtrie, l’adoration du diable, qui présidait à leurs réunions secrètes sous la forme d’une tête dorée montée sur quatre pieds et connue sous le nom de tête de Bophomet[2].

Philippe le Bel, qui les redoutait et qui, selon quelques opinions, voulait s’emparer de leurs richesses, les fit arrêter tous en France dans l’année 1307 et les mit en jugement. Le pape s’opposa à cette procédure comme revenant au Saint-Siège, attendu que ces chevaliers étaient un ordre religieux. Cent quarante templiers avaient, à Paris, confessé les crimes qu’on leur imputait. Le pape (c’était Clément V) en interrogea à Poitiers soixante-douze ; ils avouèrent pareillement. Un concile fut donc convoqué à Vienne pour juger cette affaire. L’ordre des templiers y fut aboli et proscrit.

Cependant Clément V avait absous le grand maître et ceux des chevaliers qui s’étaient confessés avec repentir ; mais Philippe voulut que Jacques de Molay, le grand maître, fît sa confession publique avec amende honorable devant les portes de Notre-Dame ; et comme il s’y refusa, il y fut brûlé avec un autre des hauts chevaliers le 18 mars 1314.

Il n’est pas vrai que Jacques de Molay ait ajourné le roi et le pape, comme on l’a dit, pour produire un effet de théâtre. Lui et ses compagnons infortunés se bornèrent à invoquer vaine-

  1. Cette règle consistait en soixante-douze articles, qui disaient en substance que ces religieux militaires porteraient l’habit blanc ; qu’ils entendraient tous les jours l’office divin ; que lorsque le service militaire les en empêcherait, ils seraient tenus d’y suppléer par d’autres prières spécifiées dans les constitutions ; qu’ils feraient maigre quatre jours par semaine, et que l’exercice de la chasse leur serait absolument interdit.
  2. Des aveux établirent que, dans un des chapitres de l’ordre tenu à Montpellier, et de nuit, suivant l’usage, on avait exposé une tête (Voy. Tête de Bophomet); qu’aussitôt le diable avait paru sous la figure d’un chat ; que ce chat, tandis qu’on l’adorait, avait parlé et répondu avec bonté aux uns et aux autres ; qu’ensuite plusieurs démons étaient venus, etc.