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natoires L’auteur du savant livre Des esprits, M. de Mirville, cite, du livre XXIX d’Ammien Marcellin, un passage que nous reproduisons ici :

« Patricius et Hilarius, traduits devant un tribunal romain pour crime de magie, se défendirent ainsi :

» Hilaire parla le premier : Nous avons fait, dit-il, avec des morceaux de laurier, à Limitation du trépied de Delphes, la petite table (mensulam) que vous voyez ici. Puis, l’ayant consacrée, suivant l’usage…, nous nous en sommes servis… Nous la posons au milieu de la maison, et plaçons proprement dessus un bassin rond fait de plusieurs métaux. Alors un homme vêtu de lin récite une formule de chant et fait un sacrifice au dieu de la divination, puis il tient suspendu au-dessus du bassin un anneau en fil de lin très-fin et consacré par des moyens mystérieux. Cet anneau saute successivement, mais sans confusion, sur plusieurs des lettres gravées et s’arrête sur chacune ; il forme aussi des vers parfaitement réguliers…, et ces vers sont les réponses aux questions qu’on a faites. Nous demandions un jour qui serait le successeur de l’empereur actuel…, l’anneau sauta et donna les deux syllabes Théo… Nous ne poussâmes pas plus loin, nous trouvant suffisamment avertis que ce serait Théodore. Les faits démentirent plus tard les magiciens, mais non la prédiction, car ce fut Théodose. »

Voilà bien, vous en conviendrez, tout ce qui se passe aujourd’hui. C’est la mensula qui joue le premier rôle ; c’est elle qui est consacrée ; le prêtre remplace notre medium (intermédiaire entre l’esprit évoqué et le curieux) ; et l’anneau tient lieu du crayon ; puis au-dessus de ces trois organes plane le dieu de la divination

Le secret des tables divinatoires ne s’est jamais perdu. On lisait, il n’y a pas longtemps, dans l’Abeille de Saint-Pétersbourg, que les lamas, prêtres de la religion de Bouddha dans l’Inde, se servaient de tables pour deviner depuis un temps immémorial Voici un extrait de cet article, signé Alexis de Valdemar :

« Une personne vient-elle s’adresser au lama et lui porter sa plainte avec prière de lui découvrir l’objet qui lui a été volé, il est rare que le lama consente sur-le-champ à acquiescer à la demande. Il la renvoie à quelques jours, sous prétexte de préparations à son acte de divination.

» Quand arrive le jour et l’heure indiqués, il s’assied par terre devant une petite table carrée, place sa main dessus, et commence à voix basse la lecture d’un ouvrage thibétain. Une demi-heure après, le prêtre se soulève, détache sa main de la table, élève son bras, tout en lui conservant, par rapport à son corps, la position qu’il avait en se reposant sur la table ; celle-ci s’élève aussi suivant la direction de la main. Le lama se place alors debout, élève sa main au-dessus de sa tête, et la table se retrouve au niveau de ses yeux.

» L’enchanteur fait un mouvement en avant, la table exécute le même mouvement ; il court, la table le précède avec une rapidité telle que le lama a peine à la suivre. Après avoir suivi diverses directions, elle oscille un peu dans l’air et finit par tomber.

» De toutes les directions qu’elle a suivies, il en est une plus marquée, c’est de ce côté que l’on doit chercher les objets volés.

» Si l’on prêtait foi aux récits des gens du pays, on les retrouverait à l’endroit où tombe la petite table.

» Le jour où j’assistai à cette expérience, après avoir parcouru dans l’air un trajet de plus de 80 pieds, elle est tombée dans un endroit où le vol n’a pas été découvert. Toutefois, je dois avouer, en toute humilité, que le même jour un paysan russe, demeurant dans la direction indiquée, s’est suicidé. Ce suicide a éveillé des soupçons ; on s’est rendu à son domicile, et on y a trouvé tous les objets volés.

» Par trois différentes fois cette expérience échoua en ma présence, et le lama déclara que les objets ne pouvaient être retrouvés. Mais en y assistant pour la quatrième fois, j’ai été témoin du fait que je viens de vous rapporter. Cela se passait aux environs du bourg Élane, dans la province actuelle de Zabaïkal.

» N’osant pas me fier aveuglément à mes yeux, je m’expliquais ce fait par un tour d’adresse employé par le lama prestidigitateur. Je l’accusais de soulever la table au moyen d’un fil invisible aux yeux des spectateurs. Mais après un examen plus minutieux, je n’ai trouvé aucune trace de supercherie quelconque. De plus, la table mouvante était en bois de pin et pesait une livre et demie.

» À l’heure qu’il est, je suis persuadé que ce phénomène se produisait en vertu des mêmes principes qui font mouvoir les tables, les chapeaux, les clefs, etc. »

Nous avons rapporté, à l’article Spiritisme, l’origine et les progrès de la divination par les esprits, au moyen surtout des tables tournantes. Cette nouveauté éclata comme une contagion. Au bout de deux ans, on comptait aux États-Unis cinq cent mille personnes en communication avec les esprits. Il se publia là-dessus des livres ; et des journaux furent consacrés à cette science, qui ouvrait aux curieux des voies nouvelles. Les tables tournantes furent bientôt interrogées en Europe, et, depuis 1850, on s’en est occupé partout. Nous pourrions citer des faits incontestables. Des hommes sérieux les ont étudiés et n’ont vu en résumé, dans ces esprits, que les démons dont saint Paul nous rappelle que nous vivons entourés.

Et cependant, les savants de nos académies se refusent à l’évidence, dès qu’elle gêne et contrarie tant soit peu leur doctrine, comme le