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grand bruit, et qui se rendaient tous les soirs, vers l’heure de none, à une montagne qui paraissait le lieu de leur réunion. Plusieurs personnes du voisinage s’approchèrent de ces gens armés, en les conjurant, au nom de Dieu, de leur déclarer ce que signifiait cette troupe innombrable et quel était leur projet. Un des soldats ou fantômes répondit : Nous ne sommes pas ce que vous vous imaginez, ni de vrais fantômes ni de vrais soldats. Nous sommes les âmes de ceux qui ont été tués en cet endroit dans la dernière bataille. Les armes et les chevaux que vous voyez sont les instruments de notre supplice, comme ils l’ont été de nos péchés. Nous sommes tout en feu, quoique vous n’aperceviez en nous rien qui paraisse enflammé. — On dit qu’on remarqua en leur compagnie le comte Enrico et plusieurs autres seigneurs tués depuis peu d’années, qui déclarèrent qu’on pouvait les soulager par des aumônes et des prières[1]. Voy. Apparitions, Phénomènes, Visions, Aurore boréale, etc.

Armide. L’épisode d’Armide, dans le Tasse, est fondé sur une tradition populaire qui est rapportée dans les chroniques de la première croisade et citée par Pierre Delancre[2]. Cette habile enchanteresse était fille d’Arbilan, roi de Damas ; elle fut élevée par Hidraote, son oncle, puissant magicien, qui en fit une grande sorcière. La nature l’avait si bien partagée, qu’elle surpassait en attraits les plus belles femmes de l’Orient. Son oncle l’envoya comme un redoutable ennemi vers la puissante armée chrétienne que le pape Urbain II avait rassemblée sous la conduite de Godefroid de Bouillon ; et là, comme dit Delancre, « elle charma en effet quelques chefs croisés » ; mais elle ne compromit pas l’espoir des chrétiens ; et même elle fut tuée par un projectile au siège de Jérusalem[3].

Armomancie, divination qui se faisait par l’inspection des épaules[4]. On juge encore aujourd’hui qu’un homme qui a les épaules larges est plus fort qu’un autre qui les a étroites.

Arnauld (Angélique). Apparition de la mère Marie-Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal de Paris, peu avant la mort de la sœur Marie-Dorothée Perderaux, abbesse intruse de ladite maison ; rapportée dans une lettre écrite en 1685, par M. Dufossé, à la suite de ses mémoires sur Port-Royal. — « Deux religieuses de Port-Royal, étant à veiller le Saint-Sacrement pendant la nuit, virent tout à coup la feue mère Angélique, leur ancienne abbesse, se lever du lieu où elle avait été inhumée, ayant en main sa crosse abbatiale, marcher tout le long du chœur et s’aller asseoir à la place où se met l’abbesse pendant les vêpres.

» Étant assise, elle appela une religieuse qui se trouvait au même lieu, et lui ordonna d’aller chercher la sœur Dorothée, laquelle, ou du moins son esprit, vint se présenter devant la mère Angélique, qui lui parla quelque temps, sans qu’on pût entendre ce qu’elle lui disait ; après quoi, tout disparut.

» On ne douta point que la mère Angélique n’eût cité la sœur Dorothée devant Dieu ; et c’est la manière dont elle l’interpréta elle-même, lorsque les deux religieuses qui avaient été témoins de cette apparition la lui rapportèrent. Elle s’écria : — Ah ! je mourrai bientôt. Et en effet, elle mourut quinze jours ou trois semaines après. » Voilà !

Arnauld de Bresse (Brescia), moine du douzième siècle, disciple d’Abeilard. Turbulent et ambitieux, il se fit chef de secte. Il disait que les bonnes œuvres sont préférables au sacrifice de la messe, ce qui est absurde ; car le sacrifice de la messe n’empêche pas les bonnes œuvres, il les ordonne au contraire. Il avait jeté le froc, comme tous les réformateurs. Ayant excité de grands troubles, et chargé de noirs forfaits, il fut pris et brûlé à Rome en 1155.

Cet homme est peint sous d’affreuses couleurs dans une chronique contemporaine intitulée le Maléfice, attribuée à Hues de Braye-Selves et publiée en style moderne par M. Léon Dussillet. Chassé, maudit, traqué partout, il s’est attaché à Sibylle de Bourgogne, plus connue sous le nom de la Dame aux jambes d’or, qu’on lui donna dans les croisades, que par la violence de ses passions. Pendant qu’il prépare le maléfice qui doit tuer une jeune fille dont Sibylle veut la mort, neuf gouttes de sang jaillissent d’une cicatrice qu’il avait à la joue. — Déjà ! dit le sorcier d’une voix creuse ; maître, tu comptes bien, et moi seul j’oubliais le terme. — Quel terme ? s’écria Sibylle frappée de la pâleur subite d’Arnauld de Bresse. Pour qui ce sang a-t-il coulé ? je n’avais point remarqué ce terrible stigmate, qu’on croirait imprimé avec un sceau de feu. — Ce sceau brûle en effet, répliqua le moine, toujours plus troublé et plus pâle ; et celui qui l’a imprimé ne souffre jamais qu’il s’efface. Les genoux du sorcier fléchirent sous lui, et ses membres frémiront d’une horreur invincible[5]… Il prévoyait que bientôt celui à qui il s’était vendu allait arriver ; il acheva l’envoûtement qui amena la mort de la jeune fille ; et c’est sans doute après ces abominations qu’il gagna Rome, on ne sait dans quel but. Il y mourut sur le bûcher.

Arnauld de Villeneuve, médecin, astrologue et alchimiste, qu’il ne faut pas confondre, comme on l’a fait quelquefois, avec Arnauld de

  1. Chronique d’Ursperg.
  2. Tableau de l’inconstance des mauvais anges, etc., liv. I.
  3. Voyez les Légendes des croisades.
  4. Du mot latin armus, épaule. Les anciens appliquaient surtout cette divination aux animaux. Ils jugeaient par l’armomancie si la victime était bonne pour les dieux.
  5. Chapitre III du livre cité.
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