Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/581

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REI
REI
— 573 —

sinistres, ces plaintes lamentables, ces voix agonisantes mêlées à des accents de rage, à de sourds gémissements, tels qu’on en peut entendre dans une lutte acharnée entre un bourreau et sa victime. J’attendais avec anxiété la fin de ce pénible drame, qui ne devait se dénouer que dans les ombres de la nuit et quand la vie serait éteinte ou les forces de la martyre épuisées. Je ne pouvais m’arracher de ces lieux étranges, où m’enchaînait le charme du prodige dont je venais d’être témoin. Ce n’était point un rêve, une vaine illusion. Ce fait, je n’en pouvais douter ; je l’avais vu de mes yeux et touché de mes mains. Je rendais grâces à Dieu.

» Oui, m’écriais-je dans le transport de mon admiration, la religion a ses lois éternelles qu’il n’est pas permis de mettre en doute ! Oui, il y a des jours saints, consacrés pour elle, que le génie du mal s’efforce de profaner ! Oui, le démon existe, l’enfer existe ! Mais au-dessus de l’enfer est le ciel ! Au-dessus de l’ange des ténèbres, l’ange de lumière et de l’innocence dont j’ai vu le triomphe ! Dieu tout-puissant ! donnez-moi, comme à vos apôtres, l’esprit divin de la parole, et je publierai vos merveilles, vos miséricordes infinies. Labia mea aperies et os meum annunliabit laudem tuam !

» Et impii ad te convertentur, ajoute M. le curé en me frappant doucement sur l’épaule, car il était là depuis une heure, ce digne et bon pasteur. « Eh bien, mon cher monsieur, me dit-il en me serrant la main, vous voilà donc converti aux contes de bonne femme. Ces bons habitants de Riel-les-Eaux, les trouvez-vous toujours bien simples de croire à la possédée ? — Monsieur le curé, je suis anéanti. Mais il y a donc encore des possédés ? — Eh ! qu’y voyez-vous d’impossible ? qu’y a-t-il d’impossible à Dieu ? S’il permet au démon d’éprouver les âmes, ne peut-il lui permettre d’éprouver nos corps ? Ce qu’il a voulu jadis, ne peut-il le vouloir aujourd’hui ? Ne lisez-vous pas dans l’Évangile que Notre-Seigneur a chassé les démons qui tourmentaient les possédés ? Dieu voulut qu’au temps de Jésus-Christ il y en eût un plus grand nombre, sans doute pour lui fournir plus d’occasions de signaler sa puissance et nous donner plus de preuves de sa mission et de sa divinité. Qui me dira que Dieu n’a pas eu ses desseins en permettant, dans notre humble village, le phénomène étrange que nous avons en ce moment devant les yeux ? Saint Jérôme et saint Hilaire assurent que l’on voyait de leur temps des personnes extraordinairement tourmentées par les démons sur les tombeaux des saints martyrs. De nos jours, Reine Guetet ne peut entrer dans une église ni passer un seul jour de dimanche ou de fête sans être elle-même extraordinairement tourmentée. Nous croyons ce que nous voyons ; comment faire autrement ? Peut-on fermer ses yeux à la lumière et résister à l’évidence ? Pouvons-nous mettre en doute un fait public qui se renouvelle depuis trente ans et sans interruption à la face de tout un pays ? Ce fait résulte-t-il d’un préjugé de notre part, d’une erreur populaire ou du charlatanisme d’une comédienne ? Unefemme peut jouer la comédie et faire des dupes ; elle peut en imposer quelques jours et même quelques années ; mais elle ne saurait continuer toute sa vie ce jeu terrible dont la conséquence est la mort. Voyez l’état de la pauvre Reine ; elle ne marche plus, elle se traîne, son corps est disloqué ; c’est un spectre ambulant qui n’a que le souffle de la vie, et, en effet, après les crises affreuses dont vous avez été témoin et qui se renouvellent si souvent, son existence tient du prodige. Mais ce qui fait l’objet de notre admiration, c’est le moyen si extraordinaire et si simple que le Ciel, dans sa miséricorde, vient de nous révéler pour calmer les tourments de la pauvre Reine ; c’est celui que vous avez vu et dont nous nous servons maintenant pour lui administrer la communion. Dès qu’elle est préparée à cette action, elle se couche ; on lui apporte un jeune enfant, on le pose sur son cœur, et elle reçoit avec bonheur le pain des forts. Reine, avec l’enfant, est invincible. Assis sur sa poitrine comme sur un trône inébranlable, le petit ange défie l’enfer. En vain Satan relève la tête, il terrasse le monstre, il le tient écrasé sous ses pieds. Super aspidem et basiliscum ambulabis et conculcabis leonem et draconem ! Vous voyez donc que le bon Dieu fait encore, quand il lui plaît, des choses extraordinaires, et vous pouvez en rendre témoignage. — Si je le puis, monsieur le curé ! mais c’est un devoir sacré pour moi. Je monterai sur les toits pour publier ce que j’ai vu et pour rendre hommage à la vérité. — Ne montez pas si haut ; contentez-vous de glorifier Dieu en racontant tout simplement et sans emphase le fait dont vous avez été témoin. La vérité parle d’elle-même et n’a pas besoin de recommandation. Faites mieux, adressez-moi vos incrédules ; qu’ils viennent comme vous s’assurer du fait par eux-mêmes. Je sers un Dieu de charité ; envoyez-moi tous vos amis : ils sont déjà les miens ; mes bras leur sont ouverts, je les accueillerai avec joie. Mon presbytère ne sera jamais trop étroit pour les recevoir, ni mon cœur pour les bénir ! »

» Lecteurs, entendez cette voix, si vous doutez encore. Hâtez-vous d’aller voir cette terre où vous attendent, non les jouissances d’une frivole curiosité, mais un grand enseignement, de vives et salutaires émotions, l’occasion si heureuse d’affermir votre foi et de glorifier Dieu.

» Roze des Obdons. »
Riel-les-Eaux, le 11 juin 1853.

Le journal chrétien qui contenait ce récit ajoutait : « Conformément aux désirs et aux re-