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menta, fit des grimaces effroyables, des cabrioles et des cris, absolument comme si le diable, qu’elle disait chez elle, eût été en face d’un prêtre lisant le livre sacré[1]. Elle fut ainsi démasquée.

Mais il y a les vrais possédés ou démoniaques. Ce sont ceux dont le diable s’est emparé. Plusieurs aujourd’hui prétendent que les possessions sont des monomanies, des folies plus ou moins furieuses, plus ou moins bizarres. Mais comment expliquer ce fait qu’à Gheel en Belgique, où l’on traite les fous colonisés, on guérit les fous furieux en les exorcisant ?…

Le savant docteur Moreau, dans la visite officielle qu’il a faite à Gheel en 1842, et qu’il a publiée, a reconnu ce fait, qui ne peut être contesté. Le diable serait — il donc pour quelque chose dans certaines folies ? et connaissons-nous bien tous les mystères au milieu desquels nous vivons ? Dans tous les cas, si plusieurs possessions ont été soupçonnées de charlatanisme, nous croyons que le soupçon a été fondé moins souvent qu’on ne le dit.

On a beaucoup écrit sur les démoniaques, qui sont, disent les experts, plus ou moins agités, suivant le cours de la lune. L’historien Josèphe dit que ce ne sont pas les démons, mais les âmes des méchants, qui entrent dans les corps dès possédés et les tourmentent.

On a vu des démoniaques à qui les diables arrachaient les ongles des pieds sans leur faire de mal. On en a vu marcher à quatre pattes, se traîner sur le dos, ramper sur le ventre, marcher sur la tête. Il y en eut qui se sentaient chatouiller les pieds sans savoir par qui ; d’autres parlaient des langues qu’ils n’avaient jamais apprises. Comment expliquera-t-on les convulsionnaires jansénistes du dernier siècle, si on en exclut le diable[2] ? En l’an 1556, il se trouva à Amsterdam une phalange d’enfants démoniaques, que les exorcismes ordinaires ne purent délivrer ; on publia qu’ils n’étaient en cet état que par maléfices et sortilèges ; ils vomissaient des ferrements, des lopins de verre, des cheveux, des aiguilles et autres choses semblables. On conte qu’à Rome, dans un hôpital, soixante-dix filles devinrent folles ou démoniaques en une seule nuit ; deux ans se passèrent sans qu’on les pût guérir. Cela peut être arrivé, dit Cardan, ou par le mauvais air du lieu, ou par la mauvaise eau, ou par la fourberie, ou par suite de mauvais déportements. C’est que la suite de mauvais déportements entraîne souvent les mauvais esprits contre lesquels nous luttons tous et sans cesse, si nous ne sommes à eux. On croyait reconnaître autrefois qu’une personne était démoniaque à plusieurs signes : 1° les contorsions ; 2° l’enflure du visage ; 3° l’insensibilité et la ladrerie ; 4° l’immobilité ; 5° les clameurs du ventre ; 6° le regard fixe ; 7° des réponses en français à des mots latins ; 8° les piqûres de lancette sans effusion de sang, etc. Mais, dit-on, les saltimbanques et les grimaciers font des contorsions, sans pour cela être possédés du diable ; et qu’en savez-vous ? L’enflure du visage, de la gorge, de la langue, est souvent causée par des vapeurs ou par la respiration retenue. L’insensibilité peut bien être la suite de quelque maladie ou n’être que factice, si la personne insensible a beaucoup de force. Un jeune Lacédémonien se laissa ronger le flanc par un renard qu’il venait de voler, sans donner le moindre signe de douleur ; un enfant se laissa brûler la main dans un sacrifice que faisait Alexandre, sans faire aucun mouvement ; du moins les historiens le disent. Ils en content bien d’autres. Ceux qui se faisaient fouetter devant l’autel de Diane ne fronçaient pas le sourcil… On vous dira même que l’immobilité est volontaire, aussi bien dans les gestes que dans les regards, qu’on est libre de se mouvoir ou de ne pas se mouvoir, pour peu qu’on ait de fermeté dans les nerfs ; que les clameurs et jappements que les possédés faisaient entendre dans leur ventre sont expliqués par nos ventriloques. On explique aussi les piqûres d’aiguille ou de lancette sans effusion de sang ; dans les mélancoliques, dit-on, le sang qui est épais et grossier ne peut souvent sortir par une petite ouverture, et certaines personnes piquées de la lancette ne saignent point. On exclura des possédés les gens d’un estomac qui, ne digérant point, rendent les choses telles qu’ils les ont avalées, ainsi que les fous et les maniaques. Les symptômes de la manie sont si affreux[3] que nos ancêtres l’ont mise sur le compte des esprits malins. Et qui pourra établir qu’ils se trompaient ?

On a publié un traité sur ce sujet, intitulé Recherches sur ce qu’il faut entendre par les démoniaques dont il est parlé dans le Nouveau Testament, par T. P. A. P. 0. A. B. J. T. C. 0. S., in-12, 1738, livre où la question n’est pas du tout décidée.

Il y a sur quelques possessions prétendues des explications naturelles, comme dans cette anecdote :

  1. Pigray, Traité de chirurgie.
  2. Voyez dans les Légendes infernales’, Le cimetière de saint Médard.
  3. La manie universelle est le spectacle le plus hideux et le plus terrible qu’on puisse voir. Le maniaque a les yeux fixes, sanglants, tantôt hors de l’orbite, tantôt enfoncés, le visage rouge, les vaisseaux engorgés, les traits altérés, tout le corps en contraction ; il ne reconnaît plus ni amis, ni parents, ni enfants, ni épouse. Sombre, furieux, rêveur, cherchant la terre nue et l’obscurité, il s’irrite du contact de ses vêtements, qu’il déchire avec les ongles et avec les dents, même de celui de l’air et de la lumière, contre lesquels il s’épuise en sputations et en vociférations. La faim, la soif, le chaud, le froid, deviennent souvent, pour le maniaque, des sensations inconnues, d’autres fois exaltées. (Le docteur Fodéré, Médecine légale.)