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cins inventrice et maîtresse de ces secrets, dont plusieurs se perdirent. De là vint cette réputation qui pesa, durant les deux siècles suivants, sur les Italiens. Les romanciers en ont si fort abusé, que partout où ils introduisent des Italiens, ils leur font jouer des rôles d’assassins et d’empoisonneurs. Si l’Italie avait alors l’entreprise des poisons subtils dont parlent quelques historiens, il faudrait seulement reconnaître sa suprématie en toxicologie comme dans d’autres connaissances. Elle servait les passions du siècle, comme elle bâtissait d’admirables édifices, commandait les armées, peignait de belles fresques, chantait des romances, dessinait des fêtes ou des ballets et raffinait la politique. À Florence, l’art des poisons était à un si haut point, qu’une femme partageant une pêche avec un duc, en se servant d’une lame d’or dont un côté seulement était empoisonné, mangeait la moitié saine et donnait la mort avec l’autre. Une paire de gants parfumés infiltrait par les pores une maladie mortelle. On mettait le poison dans un bouquet de roses naturelles, dont la seule senteur, une fois respirée, donnait la mort. Don Juan d’Autriche fut, dit-on, empoisonné par une paire de bottes[1]. »

Polkan, centaure des Slavons, auquel on attribuait une force et une vitesse extraordinaires. Dans les anciens contes russes, on le dépeint homme depuis la tête jusqu’à la ceinture, et cheval ou chien depuis la ceinture. En cheval, ses ruades gracieuses ont donné naissance à la danse bête qu’on nomme polka.

Pollier (Abraham). C’était un Suisse qui servait comme dragon chez le comte de HohenlohePfédelbach, au commencement de l’an 1684. Le 4 avril, il annonça qu’il allait être congédié ; et comme on s’en étonnait, il ajouta qu’il était au service du diable ; que le diable, en prenant hypothèque sur son âme, lui avait avancé de l’argent ; mais que toutes les fois qu’il avait voulu le rembourser, comme il s’en était réservé le droit dans le pacte conclu entre eux, il manquait toujours un thaler, et enfin qu’on ne le reverrait plus le lendemain. Il disparut en effet le soir. Et, durant cette soirée, on l’entendit dans plusieurs hameaux implorer du secours, sans que personne osât aller à son aide. On trouva, au matin qui suivit, ses armes et ses habits près du village qu’il avait quitté. Huit jours après, un pêcheur repêcha son haut-de-chausse et sa chemise, et peu après son corps, où l’on constata qu’il avait eu le cou tordu. On l’enterra sous la potence[2].

Polycrite. Il y avait en Étolie un citoyen vénérable, nommé Polycrite, que le peuple avait élu gouverneur du pays, à cause de son rare mérite et de sa probité. Sa dignité lui fut prorogée jusqu’à trois ans, au bout desquels il se maria avec une femme de Locres. Mais il mourut la quatrième nuit de ses noces et la laissa enceinte d’un hermaphrodite, dont elle accoucha neuf mois après. Les prêtres et les augures, ayant été consultés sur ce prodige, conjecturèrent que les Étoliens et les Locriens auraient guerre ensemble, parce que ce monstre avait les deux sexes. On conclut enfin qu’il fallait mener la mère et l’enfant hors des limites d’Étolie et les brûler tous deux. Comme on était près de faire cette abominable exécution, le spectre de Polycrite apparut et se mit auprès de son enfant. Il était vêtu d’un habit noir. Les assistants, effrayés, voulaient s’enfuir ; il les rappela, leur dit de ne rien craindre et fit ensuite, d’une voix grêle et basse, un beau discours par lequel il leur montra que, s’ils brûlaient sa femme et son fils, ils tomberaient dans des calamités extrêmes. Mais, voyant que, malgré ses remontrances, les Étoliens étaient décidés à faire ce qu’ils avaient résolu, il prit son enfant, le mit en pièces et le dévora. Le peuple poussa des huées contre lui et lui jeta des pierres pour le chasser ; il fit peu d’attention à ces insultes et continua de manger son fils, dont i ne laissa que la tête, après quoi il disparut. Ce prodige sembla si effroyable qu’on prit le dessein d’aller consulter l’oracle de Delphes. Mais la tête de l’enfant, s’étant mise à parler, leur prédit, en vers, tous les malheurs qui devaient leur arriver dans la suite, et, disent les anciens conteurs, la prédiction s’accomplit. La tête de l’enfant de Polycrite, se trouvant exposée sur un marché public, prédit encore aux Étoliens, alors en guerre contre les Acarnaniens, qu’ils perdraient la bataille. — Le Polycrite de ce conte était un vampire ou un ogre.

Polyglossos, nom que les anciens donnaient à un chêne prophétique de la forêt de Dodone ; ce chêne extraordinaire rendait des oracles dans la langue de ceux qui venaient le consulter.

Polyphage. On a publié à Wittemberg, il y a vingt ou trente ans, une dissertation sous ce titre : De polyphago et alio triophago Witlemlergensis dissertatio, in-4o. C’est l’histoire d’un des plus grands mangeurs qui aient jamais existé. Cet homme, si distingué dans son espèce, dévorait quand il voulait (ce qu’il ne faisait toutefois que pour de l’argent) un mouton entier, ou un cochon, ou deux boisseaux de cerises avec leurs noyaux ; il brisait avec les dents, mâchait et avalait des vases de terre et de verre, et même des pierres très-dures ; il engloutissait des animaux vivants, oiseaux, souris, chenilles, etc. Enfin, ce qui surpasse toute croyance, on présenta un jour à cet avale-tout une écritoire couverte de plaques de fer ; il la mangea avec les plumes, le canif, l’encre et le sable. Ce fait si singulier, qui doit consterner nos hommes sauvages, nos mangeurs de cailloux et nos jongleurs de places publiques, a été attesté par sept témoins oculaires,

  1. M. de Balzac, le Secret des Ruggieri.
  2. Görres, Mystique, liv. VI, ch. xvii.