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gée En 1616, la reine Marie de Médicis donna à Gui de Crusembourg vingt mille écus pour travailler dans la Bastille à faire de l’or. Il s’évada au bout de trois mois avec les vingt mille écus, et ne reparut plus en France.

Le pape Léon X fut moins dupe. Un homme qui se vantait de posséder le secret de la pierre philosophale lui demandait une récompense. Le protecteur des arts le pria de revenir le lendemain, et il lui fit donner un grand sac, en lui disant que, puisqu’il savait faire de l’or, il lui offrait de quoi le contenir[1]. Mais il y eut des alchimistes plus fiers. L’empereur Rodolphe II, ayant entendu parler d’un chimiste franc-comtois qui passait pour être certainement un adepte, lui envoya un homme de confiance pour l’engager à venir le trouver à Prague. Le commissionnaire n’épargna ni persuasion, ni promesses pour s’acquitter de sa commission ; mais le Franc-Comtois fut inébranlable, et se tint constamment à cette réponse : Ou je suis adepte ou je ne le suis pas ; si je le suis, je n’ai pas besoin de l’empereur, et si je ne le suis pas, l’empereur n’a que faire de moi.

Un alchimiste anglais vint un jour rendre visite au peintre Rubens, auquel il proposa de partager avec lui les trésors du grand œuvre, s’il voulait construire un laboratoire et payer quelques petits frais. Rubens, après avoir écouté patiemment les extravagances du souffleur, le mena dans son atelier. Vous êtes venu, lui dit-il, vingt ans trop tard, car depuis ce temps j’ai trouvé la pierre philosophale avec cette palette et ces pinceaux,

Le roi d’Angleterre Henri VI fut réduit à un tel degré cle besoin que, au rapport d’Évelyn (dans ses Numismata), il chercha à remplir ses coffres avec le secours de l’alchimie. L’enregistrement de ce singulier projet contient les protestations les plus solennelles et les plus sérieuses de l’existence et des vertus de la pierre philosophale, avec des encouragements à ceux qui s’en occuperont. Il annule et condamne toutes les prohibitions antérieures. Aussitôt que cette patente royale fut publiée, il y eut tant de gens qui s’engagèrent à faire de l’or, selon l’attente du roi, que l’année suivante Henri VI publia un autre édit dans lequel il annonçait que l’heure était prochaine où, par le moyen de la pierre philosophale, il allait payer les dettes de l’État en or et en argent monnayés.

Charles II d’Angleterre s’occupait aussi d’alchimie. Les personnes qu’il choisit pour opérer le grand œuvre formaient un assemblage aussi singulier que leur patente était ridicule. C’était une réunion d’épiciers, de merciers et de marchands de poisson. Leur patente fut accordée authoritate parliamenti.

Les alchimistes était appelés autrefois multiplicateurs ; on le voit par un statut de Henri IV d’Angleterre, qui ne croyait pas à l’alchimie. Ce statut se trouve rapporté dans la patente de Charles II. Comme il est fort court, nous le citerons. « Nul dorénavant ne s’avisera de multiplier l’or et l’argent, ou d’employer la supercherie de la multiplication, sous peine d’être traité et puni comme félon. »

On lit dans les Curiosités de la littérature, ouvrage traduit de l’anglais par Th. Bertin, qu’une princesse de la Grande-Bretagne, éprise


de l’alchimie, fit rencontre d’un homme qui prétendait avoir la puissance de changer le plomb en or. Il ne demandait que les matériaux et le temps nécessaires pour exécuter la conversion. Il fut emmené à la campagne de sa protectrice, où l’on construisit un vaste laboratoire, et, afin qu’il ne fût pas troublé, on défendit que personne n’y entrât. Il avait imaginé de faire tourner sa porte sur un pivot, et recevait à manger sans voir, sans être vu, sans que rien pût le distraire. Pendant, deux ans il ne condescendit à parler à qui que ce fût, pas même à la princesse. Lorsqu’elle fut introduite enfin dans son laboratoire, elle vit des alambics, des chaudières, de longs tuyaux, des forges, des fourneaux, et trois ou quatre feux d’enfer allumés ; elle ne contempla pas avec moins de vénération la figure enfumée de l’alchimiste, pâle, décharné, affaibli par ses veilles, qui lui révéla, dans un jargon inintelligible, les succès obtenus ; elle vit ou crut voir des monceaux d’or encore imparfait répandus dans le laboratoire. Cependant l’alchimiste demandait souvent un nouvel alambic et des

  1. Le comte d’Oxenstiern attribue ce trait au pape Urbain VIII, à qui un adepte dédiait un traité d’alchimie. Pensées, t. I, p. 172.