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puis il change de nom, pour que l’ange de la mort, qui doit le punir, ne le reconnaisse plus ; ensuite il donne sa bénédiction à ses enfants, s’il en a, et reçoit celle de son père, s’il ne l’a pas encore perdu. De ce moment on n’ose plus le laisser seul, de peur que l’ange de la mort, qui est dans sa chambre, ne lui fasse quelque violence. Ce méchant esprit, disent-ils, avec l’épée qu’il a dans sa main, paraît si effroyable que le malade en est tout épouvanté. De cette épée, qu’il tient toujours nue sur lui, découlent trois gouttes d’une liqueur funeste : la première qui tombe lui donne la mort, la seconde le rend pâle et difforme, la dernière le corrompt et le fait devenir puant et infect Aussitôt que le malade expire, les assistants jettent par la fenêtre toute l’eau qui se trouve dans la maison ; ils la croient empoisonnée, parce que l’ange de la mort, après avoir tué le malade, y a trempé son épée pour en ôter le sang. Tous les voisins, dans la même crainte, en font autant. Les juifs racontent que cet ange de la mort était bien plus méchant autrefois ; mais que, par la force du grand nom de Dieu, des rabbins le lièrent un jour et lui crevèrent l’œil gauche ; d’où vient que, ne voyant plus si clair, il ne saurait plus faire tant de mal. Dans leurs cérémonies funèbres, les juifs sont persuadés que, si on omettait une seule des observations et des prières prescrites, l’âme ne saurait être portée par les anges jusqu’au lit de Dieu, pour s’y reposer éternellement ; mais que, tristement obligée d’errer çà et là, elle serait rencontrée par des troupes de démons qui lui feraient souffrir mille peines. Ils disent qu’avant d’entrer en paradis ou en enfer, l’âme revient pour la dernière fois dans le corps et le fait lever sur ses pieds ; qu’alors l’ange de la mort s’approche avec une chaîne, dont la moitié est de fer et l’autre moitié de feu, et lui en donne trois coups : au premier, il disjoint tous les os et les fait tomber confusément à terre ; au second, il les brise et les éparpille, et au dernier, il les réduit en poudre. Les bons anges viennent ensuite et ensevelissent les cendres. Les juifs croient que ceux qui ne sont point enterrés dans la terre promise ne pourront point ressusciter ; mais que toute la grâce que Dieu leur fera, ce sera de leur ouvrir de petites fentes au travers desquelles ils verront le séjour des bienheureux. Cependant le rabbin Juda, pour consoler les vrais israélites, assure que les âmes des justes enterrées loin du pays de Chanaan rouleront par de profondes cavernes, qui leur seront pratiquées sous terre, jusqu’à la montagne des Oliviers, d’où elles entreront en paradis.

En Bretagne, on croit que tous les morts ouvrent la paupière à minuit[1]. Et à Plouerden, près Landernau, si l’œil gauche d’un mort ne se ferme pas, un des plus proches parents est menacé sous peu de cesser d’être[2]. On dit ailleurs que tout le monde voit les démons en mourant, et que la sainte Vierge fut seule exempte de cette vision. Le jour de la Commémoration des trépassés, les Bretons ne balayent pas leurs maisons pour ne pas troubler les morts, qui y reviennent ce jour-là en grandes troupes.

Les Arméniens frottent les morts d’huile, parce qu’ils s’imaginent qu’ils doivent lutter corps à corps avec de mauvais génies. Chez les chrétiens schismatiques de l’archipel Grec, si le corps d’un mort n’est pas bien roide, c’est un signe que le diable y est entré, et on le met en pièces pour empêcher ses fredaines. Les Tonquinois de la secte des lettrés rendent un culte religieux à ceux qui sont morts de faim ; les premiers jours de chaque semaine, ils leurs présentent du riz cuit qu’ils ont été mendier par la ville.

Chez les anciens, celui qui rencontrait un cadavre était obligé de jeter sur lui, par trois fois, de la poussière, sous peine d’immoler à Cérès la victime que l’on nommait porca prœcidanea ; on regardait même comme maudits ceux qui passaient devant un cadavre sans lui rendre ce dernier devoir.

Voici sur les morts des anecdotes d’un autre genre. Méhémet Almédi, roi de Fez, prince ambitieux, rusé, hypocrite, eut une longue guerre à soutenir contre des peuples voisins qui refusaient de se soumettre à lui. Il remporta sur eux quelques victoires ; mais ayant perdu une bataille, où il avait exposé ses troupes avec une fureur aveugle, elles refusèrent de retourner à l’ennemi. Pour les ranimer, il employa un stratagème. Il offrit à un certain nombre de ses officiers, ceux qui lui étaient le plus affectionnés, des récompenses considérables, s’ils voulaient se laisser enfermer quelques heures dans des tombeaux, comme s’ils fussent morts à la bataille. — J’ai fait pratiquer à ces tombeaux, leur dit-il, des ouvertures par lesquelles vous pourrez respirer et vous faire entendre ; car je disposerai les esprits, et, quand l’armée passera, je vous interrogerai ; vous répondrez que vous avez trouvé ce que je vous avais promis, c’est-à-dire une félicité entière et parfaite, récompense de votre dévouement, bonheur réservé à tous ceux qui combattront avec vaillance. Le tout s’exécuta comme l’avait proposé Méhémet Almédi. Il cacha parmi les morts ses plus fidèles serviteurs, les couvrit de terre, leur laissant un petit soupirail pour respirer et se faire entendre. Ensuite il rentra au camp, et faisant assembler les principaux chefs au milieu de la nuit : — Vous êtes, leur dit-il, les soldats de Dieu, les défenseurs de la loi et les protecteurs de la vérité. Disposez-vous à exterminer nos ennemis, qui sont aussi ceux

  1. Cambry, Voyage dans le Finistère, t. II, p. 15.
  2. Cambry, Voyage dans le Finistère, t. II, p. 170.