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cérémonies des obsèques, quelque homme notable de la nation, mais qui doit n’être pas de la famille du mort, fait son éloge funèbre. Quand il a fini, les assistants vont tout nus, les uns après les autres, se présenter devant l’orateur, qui leur applique à chacun, d’un bras vigoureux, trois coups d’une lanière large de deux doigts, en disant : « Souvenez-vous que pour être un bon guerrier comme l’était le défunt, il faut savoir souffrir. »

Les protestants luthériens n’ont point de cimetière et enterrent indistinctement les morts dans un champ, dans un bois, dans un jardin. « Parmi nous, dit Simon de Paul, l’un de leurs prédicants, il est fort indifférent d’être enterré dans les cimetières ou dans les lieux où l’on écorche les ânes. — Hélas, disait un vieillard du Palatinat, faudra-t-il donc qu’après avoir vécu avec honneur, j’aille demeurer après ma mort parmi les raves, pour en être éternellement le gardien ? »

Les Circassiens lavent les corps des morts, à moins que le défunt ne soit mort loyalement dans une bataille pour la défense du pays, auquel cas on l’enterre dans son harnais, sans le laver, supposant qu’il sera reçu d’emblée en paradis[1].

Les Japonais témoignent la plus grande tristesse pendant la maladie d’un des leurs, et la plus grande joie à sa mort. Ils s’imaginent que les maladies sont des démons invisibles, et souvent ils présentent requête contre elles dans les temples. Ces mêmes Japonais poussent quelquefois si loin la vengeance, qu’ils ne se contentent pas de faire périr leur ennemi ; mais ils se donnent encore la mort pour aller l’accuser devant leur dieu et le prier d’embrasser leur querelle ; on conte même que des veuves, non contentes d’avoir bien tourmenté leurs maris pendant leur vie, se poignardent pour avoir le plaisir de les faire enrager après leur mort.

Quand un Caraïbe est mort, ses compagnons viennent visiter le corps et lui font mille questions bizarres, accompagnées de reproches sur ce qu’il s’est laissé mourir, comme s’il eût dépendu de lui de vivre plus longtemps : « Tu pouvais faire si bonne chère ! il ne te manquait ni manioc, ni patates, ni ananas ; d’où vient donc que tu es mort ? Tu étais si considéré ! chacun avait de l’estime pour toi, chacun t’honorait, pourquoi donc es-tu mort ?… Tes parents t’accablaient de caresses : ils ne te laissaient manquer de rien ; dis-nous donc pourquoi tu es mort ? Tu étais si nécessaire au pays ! tu t’étais signalé dans tant de combats ! tu nous mettais à couvert des insultes de nus ennemis ; d’où vient donc que tu es mort ? » Ensuite on l’assied dans une fosse ronde ; on l’y laisse pendant dix jours sans l’enterrer ; ses compagnons lui apportent tous les matins à manger et à boire ; mais enfin, voyant qu’il ne veut point revenir à la vie, ni toucher à ces viandes, ils les lui jettent sur la tête, et, comblant la fosse, ils font un grand feu, autour duquel ils dansent avec des hurlements.

Les Turcs en enterrant les morts leur laissent les jambes libres, pour qu’ils puissent se mettre à genoux quand les anges viendront les examiner ; ils croient qu’aussitôt que le mort est dans la fosse, son âme revient dans son corps et que deux anges horribles se présentent à lui et lui demandent : « Quel est ton dieu, ta religion et ton prophète ? » S’il a bien vécu, il répond : « Mon dieu est le vrai Dieu, ma religion est la vraie religion, et mon prophète est Mahomet. » Alors on lui amène une belle figure, qui n’est autre chose que ses bonnes actions, pour le divertir jusqu’au jour du jugement, où il entre en paradis. Mais si le défunt est coupable, il tremble de peur et ne peut répondre juste. Les anges noirs le frappent aussitôt avec une massue de feu et l’enfoncent si rudement dans la terre que tout le sang qu’il a pris de sa nourrice s’écoule par le nez. Là-dessus vient une figure très-vilaine (ses mauvaises actions) qui le tourmente jusqu’au jour du jugement, où il entre en enfer. C’est pour délivrer le mort de ces anges noirs que les parents lui crient sans cesse : « N’ayez pas peur et répondez bravement. » Ils font une autre distinction des bons et des méchants, qui n’est pas moins absurde. Ils disent qu’au jour du jugement Mahomet viendra dans la vallée de Josaphat, pourvoir si Jésus-Christ jugera bien les hommes ; qu’après le jugement il prendra la forme d’un mouton blanc ; que tous les Turcs se cacheront dans sa toison, changés en petite vermine, qu’il se secouera alors, et que tous ceux qui tomberont seront damnés, tandis que tous ceux qui resteront seront sauvés, parce qu’il les mènera en paradis. Des docteurs musulmans exposent encore autrement la chose : Au jugement dernier, Mahomet se trouvera à côté de Dieu, monté sur le Borak et couvert d’un manteau fait des peaux de tous les chameaux qui auront porté à la Mecque le présent que chaque sultan y envoie à son avènement à l’empire. Les âmes des bienheureux musulmans se transformeront en puces, qui s’attacheront aux poils du manteau du prophète, et Mahomet les emportera dans son paradis avec une rapidité prodigieuse ; il ne sera plus question alors que de se bien tenir, car les âmes qui s’échapperont, soit par la rapidité du vol, soit autrement, tomberont dans la mer, où elles nageront éternellement.

Parmi les juifs modernes, aussitôt que Te malade est abandonné des médecins, on fait venir un rabbin, accompagné, pour le moins, de dix personnes. Le juif répare le mal qu’il a pu faire ;

  1. Stanislas Bell. Voyage en Circassie.