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chissement auprès du tombeau pour régaler les passants, qu’on invite à pleurer et à pousser des cris lamentables. Les Gaulois enterraient avec le corps mort ses armes, ses habits, ses animaux, et même ceux de ses esclaves qu’il avait paru le plus chérir. Quand on découvrit le tombeau de Childéric, père de Clovis, à Tournay, on y trouva des pièces d’or et d’argent, des boucles, des agrafes, des filaments d’habits, la poignée d’une épée, le tout d’or ; la figure en or d’une tête de bœuf, qui était, dit-on, l’idole qu’il adorait ; les os, le mors, un fer et quelques restes du harnais d’un cheval, un globe de cristal dont il se servait pour deviner, une pique, une hache d’armes, un squelette d’homme en entier, une autre tête moins grosse, qui paraissait avoir été celle d’un jeune homme, et apparemment de l’écuyer qu’on avait tué, selon la coutume, pour accompagner et aller servir là-bas son maître. On voit qu’on avait eu soin d’enterrer avec lui ses habits, ses armes, de l’argent, un cheval, un domestique, des tablettes pour écrire, en un mot tout ce qu’on croyait devoir lui être nécessaire dans l’autre monde. Quelquefois même on enterrait avec les grands personnages leur médecin. La belle Austregilde obtint en mourant, du roi Gontran, son mari, qu’il ferait tuer et enterrer avec elle les deux médecins qui l’avaient soignée pendant sa maladie. « Ce sont, je crois, les seuls, dit Saint-Foix, qu’on ait inhumés dans le tombeau des rois ; mais je ne doute pas que plusieurs autres n’aient mérité le même honneur. »

On observait anciennement en France une coutume singulière aux enterrements des nobles : on faisait coucher dans le lit de parade qui se portait aux enterrements un homme armé de pied en cap pour représenter le défunt. On trouva dans les comptes de la maison de Polignac : Donné cinq sous à Blaise, pour avoir fait le chevalier mort, à la sépulture de Jean, fils de Randonnet Armand, vicomte de Polignac.

Quelques peuples de l’Amérique enterraient leurs morts assis et entourés de pain, d’eau, de fruits et d’armes. À Panuco, dans le Mexique, on regardait les médecins comme de petites divinités, à cause qu’ils procuraient la santé, qui est le plus précieux de tous les biens. Quand ils mouraient, on ne les enterrait pas comme les autres ; on les brûlait avec des réjouissances publiques ; les hommes et les femmes dansaient pêle-mêle autour du bûcher. Dès que les os étaient réduits en cendres, chacun tâchait d’en emporter dans sa maison et les buvait ensuite avec du vin, comme un préservatif contre toutes sortes de maux. Quand on brûlait le corps de quelque empereur du Mexique, on égorgeait d’abord sur son bûcher l’esclave qui avait eu soin, pendant sa vie, d’allumer ses lampes, afin qu’il lui allât rendre les mêmes devoirs dans l’autre monde. Ensuite on sacrifiait deux cents esclaves, tant hommes que femmes, et parmi eux quelques nains et quelques bouffons pour son divertissement. Le lendemain, on enfermait les cendres dans une petite grotte voûtée, toute peinte en dedans, et on mettait au-dessus la figure du prince, à qui l’on faisait encore de temps en temps de pareils sacrifices, car le quatrième jour après qu’il avait été brûlé, on lui envoyait quinze esclaves en l’honneur des quatre saisons, afin qu’il les eût toujours belles ; on en sacrifiait cinq le vingtième jour, afin qu’il eût, toute l’éternité, une vigueur pareille à celle de vingt ans ; le soixantième, on en immolait trois autres, afin qu’il ne sentît aucune des principales incommodités de la vieillesse, qui sont la langueur, le froid et l’humidité. Enfin, au bout de l’année, on lui en sacrifiait encore neuf, qui est le nombre le plus propre à exprimer l’éternité, pour lui souhaiter une éternité de plaisir.

Quand les Indiens supposent qu’un de leurs chefs est près de rendre le dernier soupir, les savants de la nation se rassemblent. Le grand prêtre et le médecin apportent et consultent chacun la figure de la divinité, c’est-à-dire de l’esprit bienfaisant de l’air et de celui du feu. Ces figures sont en bois, artistement taillées, et représentent un cheval, un cerf, un castor, un cygne, un poisson, etc. Tout autour sont suspendues des dents de castor, des griffes d’ours et d’aigle. Leurs maîtres se placent avec elles dans un coin écarté de la cabane pour les consulter ; il existe ordinairement entre eux une rivalité de réputation, d’autorité, de crédit ; s’ils ne tombent pas d’accord sur la nature de la maladie, ils frappent violemment ces idoles les unes contre les autres, jusqu’à ce qu’une dent ou une griffe en tombe. Cette perte prouve la défaite de l’idole qui l’a éprouvée et assure par conséquent une obéissance formelle à l’ordonnance de son compétiteur.

Aux funérailles du roi de Méchoacan, le corps était porté par le prince que le défunt avait choisi pour son successeur ; la noblesse et le peuple le suivaient avec de grandes lamentations. Le convoi ne se mettait en marche qu’à minuit, à la lueur des torches. Quand il était arrivé au temple, on faisait quatre fois le tour du bûcher ; après quoi on y déposait le corps et on amenait les officiers destinés à le servir dans l’autre monde ; entre autres, sept jeunes filles, l’une pour serrer ses bijoux, l’autre pour lui présenter sa coupe, la troisième pour lui laver les mains, la quatrième pour lui donner la serviette, la cinquième pour lui faire sa cuisine, la sixième pour mettre son couvert, la septième pour laver son linge. On mettait le feu au bûcher, et toutes ces malheureuses victimes, couronnées de fleurs, étaient assommées à grands coups de massue et jetées dans les flammes.

Chez les sauvages de la Louisiane, après les