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comme des enfants qui souffriraient la faim et la soif, ce qui eût attiré des malheurs ; enfin on les tenait renfermées dans un lieu secret, d’où on ne les retirait que pour les consulter. Dès qu’on avait le bonheur d’avoir chez soi de pareilles figures (hautes de huit à neuf pouces), on se croyait heureux, on ne craignait plus aucun danger, on en attendait toutes sortes de biens, surtout la santé et la guérison des maladies les plus rebelles. Mais ce qui était encore plus admirable, c’est qu’elles faisaient connaître l’avenir : on les agitait pour cela, et on croyait attraper leurs réponses dans des hochements de tête que le mouvement leur imprimait. On dit que cette superstition des anciens Germains subsiste encore aujourd’hui parmi le peuple de la basse Allemagne, du Danemark et de la Suède.

Les anciens attribuaient de grandes vertus à la plante appelée mandragore. Les plus merveilleuses de ces racines étaient celles qui avaient pu être arrosées de l’urine d’un pendu ; mais on ne pouvait l’arracher sans mourir. Pour éviter ce malheur, on creusait la terre tout autour, on y fixait une corde attachée par l’autre extrémité au cou d’un chien ; ensuite ce chien, étant chassé, arrachait la racine en s’enfuyant ; il succombait à l’opération, mais l’heureux mortel qui ramassait alors cette racine ne courait plus le moindre danger et possédait un trésor inestimable contre les maléfices. Voy. Bouchey, Brioché, etc.

Mâné-Raja. C’est le Noé de la mythologie indienne, qui n’est qu’une tradition horriblement altérée de l’Écriture sainte. Il fut sauvé au jour du déluge universel, en récompense des vertus qu’il avait seul pratiquées au milieu de la corruption de son temps. Un jour qu’il se baignait, Dieu se présenta à lui sous la forme d’un petit poisson et lui dit de le prendre : Màné l’ayant fait, et le voyant grossir dans sa main, le mit dans un vase où il grossit encore avec tant de promptitude, que le raja fut contraint de le porter dans un grand bassin, de là dans un étang, puis dans le Gange, et enfin dans la mer. Alors le poisson lui apprit que tous les hommes allaient être noyés dans les eaux du déluge, à l’exception de lui, Mâné. Il lui ordonna en conséquence de prendre une barque qui se trouvait attachée au rivage, de l’amarrera ses nageoires, et de se mettre dedans à sa remorque. Mâné, ayant obéi, fut sauvé de la sorte, et le poisson disparut quand les eaux se retirèrent. Le déluge indien ne dura que sept jours.

Mânes, dieux des morts, qui présidaient aux tombeaux chez les anciens. Plus souvent encore les mânes sont les âmes des morts. Le nom de mânes en Italie était particulièrement attribué aux génies bienfaisants et secourables. Les mânes pouvaient sortir des enfers, avec la permission de Summanus, leur souverain. Ovide rapporte que, dans une peste violente, on vit les mânes se lever de leurs tombeaux et errer dans la ville et les champs en jetant des hurlements affreux. Ces apparitions ne cessèrent avec la peste, suivant ce poëte, que quand on eut rétabli les fêtes férales, établies par Numa, et qu’on eut rendu aux ombres le culte ordinaire qu’on avait depuis quelque temps interrompu. Lorsque les mânes étaient nommés Lémures ou Rémures, on les regardait comme des génies irrités, malfaisants et ardents à nuire. Leloyer[1] dit que les mânes n’étaient que des démons noirs et hideux, comme les diables et les ombres infernales. Voy. Lémures.

Manfred. Voy. Mainfroi.

Mang-Taar, espèce d’enfer des Yakouts, habité par huit tribus d’esprits malfaisants ; ces esprits ont un chef, dont le nom est Achardi Rioho, le puissant. Le bétail dont le poil est entièrement blanc est sacré pour les Yakouts, comme dévoué au grand Acharaï. Les Yakouts croient que, dès que leurs schamanes meurent, ils se réunissent à ces esprits. Ces schamanes sont des sorciers, ou prétendus tels, qui font auprès de leurs idoles l’office de prêtres.

Manichéens, sectateurs de l’hésésiarque Manès, né dans la Perse en 240. Ils reconnaissaient deux principes également puissants, également éternels, Dieu, auteur du bien, et le diable, auteur du mal.

Manie. Il y a des manies féroces qu’on n’explique plus. Nos pères y voyaient une possession, et peut-être n’avaient-ils pas si tort. Le 24 octobre 1833, un fermier de Habershausen (Bavière), nommé Joseph Raas, sans doute possédé, tua sa femme par fanatisme ; il la croyait elle-même possédée du démon, il voulait le chasser du corps de cette malheureuse ; à cet effet il la frappa à coups redoublés d’une croix de métal qui lui ôta la vie. Pendant cette affreuse opération, quatre de ses enfants étaient présents et priaient, par son ordre, pour l’heureuse délivrance de leur mère. Aux cris de la victime, les voisins accoururent ; mais malheureusement il était trop tard : l’infortunée venait d’expirer.

Dernièrement, à Paris, un homme d’une quarantaine d’années, ayant une visite à faire dans le quartier Saint-Marcel, s’aperçut que sa barbe était plus longue qu’il ne convenait, et entra, pour se faire raser, chez le sieur R., perruquier dans une petite rue du quartier Mouffetard. Le barbier silencieux barbouilla de mousse de savon le visage de sa pratique et commença son office. Quand il en fut arrivé au cou du patient, il s’arrêta tout à coup et alla fermer à double tour la porte d’entrée, dont il mit la clef dans sa poche. Il revint alors vers son homme, qui l’avait regardé avec étonnement, et lui mettant le rasoir sur la gorge : « Monsieur, lui dit-il, je suis sous la dépendance d’un esprit qui est toujours invi-

  1. Histoire des spectres, etc.