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chênes craquaient sous leurs pieds, et le lac diminuait quand ils venaient y éteindre leur soif. C’est en vain qu’on tirait contre eux le fort javelot ; la flèche aiguë était également inutile. Les forêts étaient dévastées et réduites en farine. On entendait de tous côtés les gémissements des animaux expirants, et des contrées entières habitées par des hommes étaient détruites. Les clameurs qu’excitait cette désolation s’étendaient de tous côtés, jusque dans la région de la paix, qui est à l’ouest.

» L’esprit bon s’interposa pour sauver les malheureux : un éclair fourchu brilla et un trèsgrand coup de tonnerre ébranla le monde ; les feux du ciel furent lancés seulement contre les cruels destructeurs, et les échos des montagnes retentirent des mugissements de la mort. Tous furent tués, excepté un mâle, le plus féroce de la race, contre lequel les traits du ciel frappèrent en vain. L’animal monta sur le sommet le plus bleu d’où sort la source du Monangohela, et par ses terribles rugissements, il bravait toute vengeance : la foudre rouge cassa un très-gros chêne et lança contre lui les éclats de cet arbre ; mais à peine effleurèrent-ils la peau du monstre enragé. À la fin, la fureur le rendit fou ; il fit un grand saut par-dessus les vagues de l’ouest, et il règne maintenant monarque absolu du désert ; il règne malgré la toute-puissance divine[1]. »

Man, ennemi de Sommona-Kodom. Les Siamois le représentent comme une espèce de monstre, avec une tête hérissée de serpents, un visage fort large et des dents horriblement grandes.

Mancanas, imposteur qui, dans les îles Mariannes, s’attribuait le pouvoir de commander aux éléments, de rendre la santé aux malades, de changer les saisons et de procurer une récolte abondante ou d’heureuses pêches.

Manche à balai. Quand les sorciers et les démons faisaient leur sabbat, les sorcières s’y rendaient souvent à cheval sur un manche.

Mandragores, démons familiers assez débonnaires ; ils apparaissent sous la figure de petits hommes sans barbe, avec les cheveux épars. Un jour qu’une mandragore osa se montrer à la requête d’un sorcier qu’on tenait en justice, le juge ne craignit pas de lui arracher les bras et de les jeter dans le feu. Ce qui explique ce fait, c’est qu’on appelle aussi mandragores de petites poupées dans lesquelles le diable se loge, et que les sorciers consultent en cas d’embarras. On lit dans le Petit Albert que, voyageant en Flandre et passant, par Lille, l’auteur de cet ouvrage fut invité par un de ses amis à l’accompagner chez une vieille femme qui passait pour une grande devineresse, et dont il découvrit la fourberie. Cette vieille conduisit les deux amis dans un cabinet obscur, éclairé seulement par une lampe, à la lueur de laquelle on voyait, sur une table couverte d’une nappe, une espèce de petite statue ou mandragore, assise sur un trépied, ayant la main gauche étendue et tenant de cette main un cordon de soie très-délié, au bout duquel pendait une petite mouche de fer bien poli. On avait placé au-dessous un verre de cristal, en sorte que la mouche se trouvait suspendue au-dessus de ce verre. Le mystère de la vieille consistait à commander à la mandragore de frapper la mouche contre le verre, pour rendre témoignage de ce que l’on voulait savoir. Ainsi elle disait, en s’adressant à la statue :« Je t’ordonne, mandragore, au nom de celui à qui tu dois obéir, que si monsieur doit être heureux dans le voyage qu’il va faire, tu fasses frapper trois fois la mouche contre le verre. » La mouche frappait aussitôt les trois coups demandés, quoique la vieille ne touchât aucunement ni au verre, ni au cordon de soie, ni à la mouche, ni à la statue ; ce qui surprenait les spectateurs. Et afin de mieux duper les gens parla diversité de ses oracles, la vieille faisait de nouvelles questions à la mandragore et lui défendait de frapper si telle ou telle chose devait ou ne devait pas arriver ; alors la mouche restait immobile. Voici en quoi consistait tout l’artifice de la vieille : la mouche de fer, qui était suspendue dans le verre, étant fort légère et bien aimantée, quand la vieille voulait qu’elle frappât contre le verre, elle mettait à un de ses doigts une bague dans laquelle était enchâssé un gros morceau d’aimant. On sait que la pierre d’aimant a la vertu d’attirer le fer : l’anneau de la vieille mettait en mouvement la mouche aimantée, et la faisait frapper autant de fois qu’elle voulait contre le verre. Lorsqu’elle désirait que la mouche ne frappât point, elle ôtait la bague de son doigt, sans qu’on s’en aperçût. Ceux qui étaient d’intelligence avec elle avaient soin de s’informer des affaires de ceux qu’ils lui menaient, et c’est ainsi que tant de personnes furent trompées.

Les Germains avaient aussi des mandragores qu’ils nommaient Alrunes : c’étaient des figures de bois qu’ils révéraient, comme les Romains leurs dieux lares, et comme les nègres leurs fétiches. Ces figures prenaient soin des maisons et des personnes qui les habitaient. On les faisait des racines les plus dures, surtout de la mandragore. On les habillait proprement, on les couchait mollement dans de petits coffrets ; toutes les semaines on les lavait avec du vin et de l’eau, et à chaque repas on leur servait à boire et à manger, sans quoi elles auraient jeté des cris

  1. M. Ferdinand Denis. Le monde enchante.