Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LOU
LOY
— 416 —

certaines heures mystérieuses de la nuit, dans une chapelle dédiée à saint Hubert : alors le sorcier peut être tué, et la forme de bête qu’il avait prise s’évanouit et disparaît. Or, les cérémonies de la bénédiction des balles sont d’un accomplissement difficile ; il faut avoir sur soi tant de choses précieuses, du trèfle à quatre feuilles surtout, que la peau coriace des loups-garous échappe le plus souvent aux embûches ; et c’est ce qui fait que nul ne peut être assuré avoir vu un sorcier autrement que sous la forme naturelle de bête bipède. Les croyances saintongeoises, au reste, ne s’éloignent en rien de celles des peuples du Nord, et sont nées aux mêmes sources que la fable de Robin des Bois des charbonniers allemands. Le nom des loups-garous a été connu dans toutes les provinces de France au moyen âge, bien que souvent travesti en loups-béroux.

Bodin raconte sans rougir qu’en 1542 on vit un matin cent cinquante loups-garous sur une place de Constantinople. — On trouve dans le roman de Persilès et Sigismonde, dernier ouvrage de Cervantés, des îles de loups-garous et des sorcières qui se changent en louves pour enlever leur proie, comme on trouve dans Gulliver une île de sorciers. Mais au moins ces livres sont des romans. — Delancre propose[1] comme un bel exemple ce trait d’un duc de Russie. Averti qu’un sien sujet se changeait en toutes sortes de bêtes, il l’envoya chercher, le fit enchaîner et lui commanda de donner une preuve de son art ; ce qu’il fit, se transformant en loup ; mais ce duc, ayant préparé deux dogues, les fit lancer contre ce misérable, qui aussitôt fut mis en pièces. — On amena au médecin Pomponace un paysan atteint de lycanthropie, qui criait à ses voisins de s’enfuir s’ils ne voulaient pas qu’il les mangeât. Comme ce pauvre homme n’avait rien de la forme d’un loup, les villageois, persuadés pourtant qu’il l’était, avaient commencé à l’écorcher, pour voir s’il ne portait pas le poil sous la peau. Pomponace le guérit ; ce n’était qu’un hypocondre.

J. de Nynauld a publié en 1615 un traité complet de la Lycanthropie, qu’il appelle aussi Folie louvière et lycaonie, mais dont il admet incontestablement la réalité. — Un sieur de Beauvoys de Chauvincourt, gentilhomme angevin, a fait imprimer en 1599 (Paris, petit in-12) un volume intitulé Discours de la lycanthropie, ou de la transmutation des hommes en loups. — Claude, prieur de Laval, avait publié quelques années auparavant un autre livre sur la même matière, intitulé Dialogue de la lycanthropie. Ils affirment tous qu’il y a certainement des loups-garous.

Ce qui est plus singulier, c’est qu’il y a encore dans plusieurs villages des loups-garous, ou de mauvais garnements qui passent pour tels. On se demandera comment il se peut qu’un sorcier ou un loup-garou trouble ou épouvante une contrée pendant trois ou quatre ans, sans que la justice l’arrête. C’est encore une des misères de nos paysans. Comme il y a chez eux beaucoup de méchants, ils se craignent entre eux ; ils ont un discernement et une expérience qui leur apprennent que la justice n’est pas toujours juste ; et ils disent : Si nous dénonçons un coupable et qu’il ne soit pas hors d’état de nuire, c’est un ennemi implacable que nous allons nous faire. Les paysans sont vindicatifs. Après dix ans de galères, ils reviennent se venger de leurs dénonciateurs. Il faudrait peut-être qu’un coupable qui sort des galères n’eût pas le droit de reparaître dans le pays qui a été le théâtre de ses méfaits. Voy. Cynanthropie, Bousanthropie, Raollet, Bisclavaret, etc.

Louviers (possession de). Un prêtre, nommé David, déserteur de Dieu, se trouvant confesseur des religieuses franciscaines de Louviers, pervertit ces jeunes sœurs et les mit sur les voies qui mènent aux démons. En mourant, après avoir entamé son œuvre infernale, il eut pour successeur son ami Mathurin Picard, qui était comme lui lié à Satan et qui se faisait seconder par Boulé, son vicaire. C’en était assez pour amener une possession chez les franciscaines de Louviers. Cette possession devint effroyable. Madeleine Bavent, qui était venue là innocente et dévouée à saint François, déclara comment on l’avait entraînée à profaner la sainte hostie et à commettre d’autres sacrilèges. Elle raconta comment elle avait été emmenée à ces orgies exécrables qu’on appelle le sabbat. Elle y trouvait Picard, Boulé, son vicaire, ses sœurs Catherine de la Croix, Anne Barré, Élisabeth de la Nativité, Catherine de sainte Geneviève, une nommée Simonette et plusieurs autres personnes qui faisaient sans horreur des abominations affreuses. C’est toute une monstrueuse histoire. Les possessions de cette maison se manifestèrent si violemment qu’on dut exorciser les religieuses. La plus saillante était Madeleine Bavent. Après la délivrance du couvent, on ne la condamna qu’à une pénitence qu’elle fit généreusement toute sa vie. Mais Boulé fut condamné au feu par le parlement de Rouen ; et il le méritait. On déterra le corps de Picard pour lui faire subir le même supplice ; ce misérable était mort, un peu avant la sentence. On publia qu’il s’était suicidé, peut-être aidé par Satan.

Loyer (Pierre le), sieur de la Brosse, conseiller du roi au siège présidial d’Angers, et démonographe, né à Huillé dans l’Anjou, en 1550, auteur d’un ouvrage intitulé Discours et histoires des spectres, visions et apparitions des esprits, anges, démons et âmes se montrant visibles aux

  1. Inconstance des mauvais anges, liv. IV, p. 304.