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qui la première a écrit l’histoire de l’inquisition ; on a trouvé commode de transcrire son odieux roman, qui épargnait des recherches. Vous trouverez donc partout des faits inventés qui se présentent avec une effronterie incroyable. Nous en citerons deux ou trois. « Si l’on en croit quelques historiens, Philippe III, roi d’Espagne, obligé d’assister à un auto-da-fé (c’est le nom qu’on donne aux exécutions des inquisiteurs), frémit et ne put retenir ses larmes en voyant une jeune juive et une jeune Maure de quinze à seize ans qu’on livrait aux flammes, et qui n’étaient coupables que d’avoir été élevées dans la religion de leurs pères et d’y croire. Ces historiens ajoutent que l’inquisition fit un crime à ce prince d’une compassion si naturelle ; que le grand inquisiteur osa lui dire que pour l’expier il fallait qu’il lui en coûtât du sang ; que Philippe III se laissa saigner, et que le sang qu’on lui tira fut brûlé par la main du bourreau… » C’est Saint-Foix qui rapporte ce tissu de faussetés, dans ses Essais sur Paris, sans songer qu’aucun historien n’est là pour appuyer ces faits ; qu’ils ont été imaginés quatre-vingts ans après la mort de Philippe III ; que Philippe III était maître de faire grâce et de condamner ; que l’inquisition ne brûlait pas les juifs et les Maures coupables seulement d’avoir été élevés dans la religion de leurs pères et d’y croire ; qu’elle se contentait de les bannir pour raisons politiques, etc.

Vous lirez ailleurs que le cardinal Torquemada, qui remplit dix-huit ans les fonctions de grand inquisiteur, condamnait dix mille victimes par an, ce qui ferait cent quatre-vingt mille victimes. Mais vous verrez pourtant ensuite qu’il mourut ayant fait dans sa vie six mille poursuites, ce qui n’est pas cent quatre-vingt mille ; que le pape lui fit trois fois des représentations pour arrêter sa sévérité ; vous trouverez dans les jugements assez peu de condamnations à mort. Les auto-da-fé ne se faisaient que tous les deux ans ; les condamnés à mort attendaient longuement leur exécution, parce qu’on espérait toujours leur conversion ; et vous regretterez de rencontrer si rarement la vérité dans les livres. Un gros ouvrage qui vient de paraître (le Dictionnaire universel de la géographie et de l’istoire, par M. Bouillet) porte à cinq millions le nombre des personnes que l’inquisition a fait périr en Espagne… C’est, de plus de quatre millions et neuf cent quatre-vingt-dix mille, une erreur, — pour ne pas dire plus.

Rapportons maintenant quelque procédure de l’inquisition. Le fait qui va suivre est tiré de l’histoire de l’inquisition d’Espagne, faite à Paris sur les matériaux fournis par D. Llorente, matériaux qu’on n’a pas toujours employés comme Llorente l’eût voulu ; car on a fait de son livre un pamphlet. — « L’inquisition faisait naturellement la guerre aux francs-maçons et aux sorciers. À la fin du dernier siècle, un artisan fut arrêté au nom du saint-office pour avoir dit dans quelques entretiens qu’il n’y avait ni diables, ni aucune autre espèce d’esprits infernaux capables de se rendre maîtres des âmes humaines. Il avoua, dans la première audience, tout ce qui lui était imputé, ajouta qu’il en était alors persuadé pour les raisons qu’il exposa, et déclara qu’il était prêt à détester de bonne foi son erreur, à en recevoir l’absolution, et à faire la pénitence qui lui serait imposée. J’avais vu (dit-il en se justifiant) un si grand nombre de malheurs, dans ma personne, ma famille, mes biens et mes affaires, que j’en perdis patience, et que, dans un moment de désespoir, j’appelai le-diable à mon secours : je lui offris en retour ma personne et mon âme. Je renouvelai plusieurs fois mon invocation dans l’espace de quelques jours, mais inutilement, car le diable ne vint point. Je m’adressai à un pauvre homme qui passait pour sorcier ; je lui fis part de ma situation. Il me conduisit chez une femme, qu’il disait beaucoup plus habile que lui dans les opérations de la sorcellerie. Cette femme me conseilla de me rendre, trois nuits de suite, sur la colline des Vistillas de saint François, et d’appeler à grands cris Lucifer, sous le nom d’ange de lumière, en reniant Dieu et la religion chrétienne et en lui offrant mon âme. Je fis tout ce que cette femme m’avait conseillé, mais je ne vis rien : alors elle me dit de quitter le rosaire, le scapulaire et les autres signes de chrétien que j’avais coutume de porter sur moi, et de renoncer franchement et de toute mon âme à la foi de Dieu, pour embrasser le parti de Lucifer, en déclarant que je reconnaissais sa divinité et sa puissance comme supérieures à celles de Dieu même ; et après m’être assuré que j’étais véritablement dans ces dispositions, de répéter, pendant trois autres nuits, ce que j’avais fait la première fois. J’exécutai ponctuellement ce que cette femme venait I de me prescrire ; cependant l’ange de lumière ne m’apparut point. La vieille me recommanda de prendre de mon sang et de m’en servir pour écrire sur du papier que j’engageais mon âme à Lucifer, comme à son maître et à son souverain ; de porter cet écrit au lieu où j’avais fait mes invocations, et, pendant que je le tiendrais à la main, de répéter mes anciennes paroles : je fis tout ce qui m’avait été recommandé, mais toujours sans résultat. Me rappelant alors tout ce qui venait de se passer, je raisonnai ainsi : S’il y avait des diables, et s’il était vrai qu’ils désirassent de s’emparer des âmes humaines, il serait impossible de leur en offrir une plus belle occasion que celle-ci, puisque j’ai véritablement désiré de leur donner la mienne. Il n’est donc pas vrai qu’il y ait des démons ; le sorcier et la sorcière n’ont donc fait aucun pacte avec le dia-