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L’inquisition parut depuis dans les pays où ces puissances dominèrent ; mais elle ne s’est exercée dans aucun royaume que du consentement et le plus souvent à la demande des souverains[1].

Il faudrait plus d’espace que nous ne pouvons en occuper ici pour renverser tous les mensonges calomnieux que les ennemis de l’Église, protestants, jansénistes et philosophes, ont accumulés à l’envi contre l’inquisition. Dans les deux premières éditions de ce livre, l’auteur, jeune et stupidement égaré, a reproduit les hostiles et détestables quolibets de Voltaire sur ce grave sujet, les plates suppositions de Gilles de Witte, la fable de Montesquieu d’une jeune juive brûlée à Lisbonne, uniquement parce qu’elle était née juive, et d’autres contes pareils. Depuis, on a fait paraître, mais surchargée à dessein, l’Histoire de l’inquisition de Llorente ; et plus récemment on a publié, sous le titre de Mystères de l’inquisition, un énorme roman qui est un arsenal d’imputations fausses. On a même illustré de gravures ces divers pamphlets, et on a traduit pour les yeux, à l’usage de ceux qui ne savent pas lire, des mensonges souvent impurs à la charge de l’inquisition. Nous reproduisons ici une de ces planches d’imposture ; elle représente des faits imaginaires dont l’Espagne et le Portugal n’ont jamais eu le spectacle. À la place des archers, on a mis des moines ; bien plus, un de ces religieux, armé d’une torche, met le feu au bûcher ; ce qui ne s’est jamais fait. Les moines n’étaient aux auto-da-fé que pour donner aux condamnés les consolations suprêmes.

Après Joseph de Maistre, l’abbé Jules Morel et l’abbé Léon Godard ont fait pleine justice de ces tristes licences de la presse.

« Si l’on excepte un très-petit nombre d’hommes instruits, dit Joseph de Maistre, il ne vous arrivera guère de parler de l’inquisition sans rencontrer dans chaque tête trois erreurs capitales, plantées et comme rivées dans les esprits, au point qu’elles cèdent à peine aux démonstrations les plus évidentes. On croit que l’inquisition est un tribunal purement ecclésiastique : cela est faux. On croit que les ecclésiastiques qui siègent dans ce tribunal condamnent certains accusés à la peine de mort : cela est faux. On croit qu’ils les condamnent pour de simples opinions : cela est faux. Le tribunal espagnol de l’inquisition était purement royal. C’était le roi qui désignait l’inquisiteur général, et celui-ci nommait à son tour les inquisiteurs particuliers, avec l’agrément du roi. Le règlement constitutif de ce tribunal fut publié en l’année 1484 par le cardinal Torquemada, de concert avec le roi[2]. Doux, tolérant, charitable, consolateur dans tous les pays du monde, par quelle magie le gouvernement ecclésiastique sévirait-il en Espagne, au milieu d’une nation éminemment noble et généreuse ? Dans l’examen de toutes les questions possibles, il n’y a rien de si essentiel que d’éviter la confusion des idées. Séparons donc et distinguons bien exactement, lorsque nous raisonnons sur l’inquisition, la part du gouvernement de celle de l’Église. Tout ce que le tribunal montre de sévère et d’effrayant, et la peine de mort surtout, appartient au gouvernement ; c’est son affaire ; c’est à lui, et c’est à lui seul qu’il faut en demander compte. Toute la clémence, au contraire, qui joue un si grand rôle dans le tribunal de l’inquisition, est l’action de l’Église, qui ne se mêle de supplices que pour les supprimer ou les adoucir. Ce caractère indélébile n’a jamais varié. Aujourd’hui, ce n’est plus une erreur, c’est un crime de soutenir, d’imaginer seulement que des prêtres puissent prononcer des jugements de mort. Il y a dans l’histoire de France un grand fait qui n’est pas assez observé, c’est celui des templiers ; ces infortunés, coupables ou non (ce n’est point de quoi il s’agit ici), demandèrent expressément d’être jugés par le tribunal de l’inquisition ; car ils savaient bien, disent les historiens, que s’ils obtenaient de tels juges, ils ne pouvaient plus être condamnés à mort… Le tribunal de l’inquisition était composé d’un chef nommé grand inquisiteur, qui était toujours archevêque ou évêque ; de huit conseillers ecclésiastiques, dont six étaient toujours séculiers, et de deux réguliers, dont l’un était toujours dominicain, en vertu d’un privilège accordé par le roi Philippe III[3]. »

Ainsi les dominicains ne dirigeaient donc pas l’inquisition, puisque l’un d’eux seulement en faisait partie par privilège.

« On ne voit pas bien précisément, dit encore Joseph de Maistre, à quelle époque le tribunal de l’inquisition commença à prononcer la peine de mort. Mais peu nous importe ; il nous suffit de savoir, ce qui est incontestable, qu’il ne put acquérir ce droit qu’en devenant royal, et que tout jugement de mort demeure, par sa nature, étranger au sacerdoce. La teneur des jugements établit ensuite que les confiscations étaient faites au profit de la chambre royale et du fisc de Sa Majesté. Ainsi, encore un coup, ce tribunal était purement royal, malgré la fiction ecclésiastique ; et toutes les belles phrases sur l’avidité sacerdotale tombent à terre. Ainsi l’inquisition religieuse n’était, dans le fond, comme dit Garnier, qu’une inquisition politique[4]. Le rapport des Cortès de 1812 appuie ce jugement. Philippe II, le plus absolu des princes, dit ce rapport, fut le véritable fondateur de l’inquisition. Ce fut sa politique raffinée qui la porta à ce point de hauteur

  1. Bergier, Dictionnaire théologique.
  2. Voyez le rapport officiel en vertu duquel l’inquisition fut supprimée par les Cortès de 1812.
  3. Joseph de Maistre, Lettres à un gentilhomme russe sur l’inquisition espagnole.
  4. Histoire de Francois Ier, t. II, ch. iii.