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le voir sans cesse : il en perdit le sommeil et l’appétit, devint triste, rêveur, languissant. Sa femme, qui, raisonnable au commencement, avait fait tous ses efforts pour le calmer et le guérir de son illusion, finit par s’imaginer que, puisqu’elle n’avait pas réussi, il y avait quelque chose de réel dans l’idée de son mari, et qu’ayant été couchée à côté de lui, il était fort possible qu’elle eût été aussi mordue. Cette disposition d’esprit développa chez elle les mêmes symptômes que chez son mari, abattement, lassitude, frayeur, insomnie. Le médecin, voyant échouer toutes les ressources ordinaires de son art contre cette maladie de l’imagination, leur conseilla d’aller en pèlerinage à Saint-Hubert. Dès ce moment les deux malades furent plus tranquilles : ils allèrent à Saint-Hubert, y subirent le traitement usité, et revinrent guéris[1].

Un homme pauvre et malheureux s’était tellement frappé l’imagination de l’idée des richesses, qu’il avait fini par se croire dans la plus grande opulence. Un médecin le guérit, et il regretta sa folie. On a vu, en Angleterre, un homme qui voulait absolument que rien ne l’affligeât dans ce monde. En vain on lui annonçait un événement fâcheux ; il s’obstinait à le nier. Sa femme étant morte, il n’en voulut rien croire. Il faisait mettre à table le couvert de la défunte, et s’entretenait avec elle, comme si elle eût été présente ; il en agissait de même lorsque son fils était absent. Près de sa dernière heure, il soutint qu’il n’était pas malade, et mourut avant d’en avoir eu le démenti.

Voici une autre anecdote : Un maçon, sous l’empire d’une monomanie qui pouvait dégénérer en folie absolue, croyait avoir avalé une couleuvre ; il disait la sentir remuer dans son ventre. M. Jules Cloquet, chirurgien de l’hôpital Saint-Louis, à qui il fut amené, pensa que le meilleur, peut-être le seul moyen pour guérir ce monomane, était de se prêter à sa folie. Il offrit en conséquence d’extraire la couleuvre par une opération chirurgicale. Le maçon y consent ; une incision longue, mais superficielle, est faite à la région de l’estomac, des linges, des compresses, des bandages rougis par le sang sont appliqués. La tête d’une couleuvre dont on s’était précautionné est passée avec adresse entre les bandes et la plaie. « Nous la tenons enfin, s’écria l’adroit chirurgien ; la voici. » En même temps, le patient arrache son bandeau : Il veut voir le reptile qu’il a nourri dans son sein. Quelque temps après, une nouvelle mélancolie s’empare de lui ; il gémit, il soupire ; le médecin est rappelé : « Monsieur, lui dit-il avec anxiété, si elle avait fait des petits ? — Impossible ! c’est un mâle. »

On attribue ordinairement à l’imagination des femmes la production des fœtus monstrueux. M. Salgues a voulu prouver que l’imagination n’y avait aucune part, en citant quelques animaux qui ont produit des monstres, et d’autres preuves pourtant insuffisantes. Plessman, dans sa Médecine puerpérale ; Harting, dans une thèse ; Demangeon, dans ses Considérations physiologiques sur le pouvoir de l’imagination maternelle dans la grossesse, soutiennent l’opinion générale. Les femmes enceintes défigurent leurs enfants, quoique déjà formés, lorsque leur imagination est violemment frappée. Malebranche parle d’une femme qui, ayant assisté à l’exécution d’un malheureux condamné à la roue, en fut si affectée, qu’elle mit au monde un enfant dont les bras, les cuisses et les jambes étaient rompus à l’endroit où la barre de l’exécuteur avait frappé le condamné. Le peintre Jean-Baptiste Rossi fut surnommé Gobbino parce qu’il était agréablement gobbo, c’est-à-dire bossu. Sa mère était enceinte de lui lorsque son père sculptait le gobbo, bénitier devenu célèbre, et qui a fait le pendant du pasquino, autre bénitier de Gabriel Cagliari.

Une femme enceinte jouait aux cartes. En relevant son jeu, elle voit que, pour faire un grand coup, il lui manque l’as de pique. La dernière carte qui lui rentre était effectivement celle qu’elle attendait. Une joie immodérée s’empare de son esprit, se communique, comme un choc électrique, à toute son existence ; et l’enfant qu’elle mit au monde porta dans la prunelle de l’œil la forme d’un as de pique, sans que l’organe de la vue fût d’ailleurs offensé par cette conformation extraordinaire. Le trait suivant est encore plus étonnant, dit Lavater. « Un de mes amis m’en a garanti l’authenticité. Une dame de condition du Rhinthal voulut assister, dans sa grossesse, au supplice d’un criminel qui avait été condamné à avoir la tête tranchée et la main droite coupée. Le coup qui abattit la main effraya tellement la femme enceinte, qu’elle détourna la tête avec un mouvement d’horreur, et se retira sans attendre la fin de l’exécution. Elle accoucha d’une fille qui n’eut qu’une main, et qui vivait encore lorsque mon ami me fit part de cette anecdote ; l’autre main sortit séparément, après l’enfantement. »

Il y a, du reste, sur les accouchements prodigieux bien des contes : « J’ai lu dans un recueil de faits merveilleux, dit M. Salgues, Des erreurs et des préjugés répandus dans la société, qu’en 1778, un chat, né à Stap, en Normandie, devint épris d’une poule du voisinage et qu’il lui fit une cour assidue. La fermière ayant mis sous les ailes de la poule des œufs de cane qu’elle voulait faire couver, le chat s’associa à ses travaux maternels. Il détourna une partie des œufs et les couva si

  1. Cette anecdote ne doit infirmer en rien la juste réputation du pèlerinage de Saint-Hubert, où il est avéré (comme il est facile aux curieux de s’en convaincre) qu’aucun malade n’est allé sans trouver la guérison.