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grâces aux soins empressés du docteur Cauvière, qui l’a tout de suite saigné abondamment. »

Quand on est dans des dispositions de gaieté et de bonheur, dit M. Granal, le hrachich pris, en dose raisonnable, vous promène à travers les mille et mille caprices de l’imagination la plus riche ; je crois qu’on y acquiert la perception d’un monde invisible, de ce monde de fées et de génies que nos yeux ne peuvent voir dans l’état naturel. On ne connaît pas l’auteur des Mille et une Nuits, je crois le tenir ; c’est, j’en suis sûr, le hrachich en personne. J’ai vu peu de cas de sombre fureur ; quelquefois des accès de colère très-passagers, le plus souvent la gaieté la plus folle. J’ai retenu une seule fois, un hrachach (preneur de hrachich) qui, se croyant oiseau, voulait s’envoler de la fenêtre sur un arbre du jardin. Il avait dénoué les deux bouts de sa ceinture de soie, et, les tenant dans ses mains, il s’écriait : « Je suis oiseau de paradis, je vais m’envoler. » Heureusement, on mit l’oiseau en cage ; un autre entendait le langage des serpents, et, ce qui est plus fort, il le parlait ; je n’en compris pas un mot, bien que je fusse monté à son diapason. Il paraîtra extraordinaire que les individus dans cette situation ne se méprennent pas sur le compte les uns des autres ; ils se traitent de fous sans façon ; mais, si une personne dans son état de bon sens se moque d’eux et les contrarie, ils se fâchent, s’irritent, entrent en fureur ou tombent dans la tristesse. Sentir sa tête se détacher du corps est encore un des effets du hrachich, mais ce n’est pas un effet nécessaire ; il en est qui sentent toujours leur tête sur leurs épaules. Dans une de ces parties, j’ai vu un cas à peu près semblable. Un de mes amis s’écriait : « Ne me touchez pas, je suis statue, vous allez me briser ; et, quelqu’un l’ayant touché ; « Voilà » qui est bien, dit-il ; ma tête roule par ici, mes » bras par là, mes jambes s’en vont chacune de leur côté. »

« J’ajouterai, dit encore M. Granal, que le Vieux de la Montagne exaltait ses sectaires par l’emploi de cette drogue : de là le nom de hrachachin, qui est le pluriel de hrachach, qui veut dire preneur de hrachich, d’où vient le nom français d’assassins. Auriez-vous pensé que ces moLs assassiner, assassin, avaient une parenté quelconque avec le hrachich ? C’est pourtant la vérité. »

Huarts, lutins des forêts de Normandie, qui ont le cri du cha t-huant, et qui huèrent Richard sans Peur, croyant l’effrayer. Ils sont de la suite du démon Brudemort.

Hubner (Etienne), revenant de Bohême. Plusieurs auteurs ont dit qu’il parut, quelque temps après sa mort, dans sa ville, et qu’il embrassa même quelques-uns de ses amis qu’il rencontra[1].

Hudemuhlen, château de Lunebourg, qui fut infesté au temps de la réforme par un lutin qui se disait chrétien, mais qui paraissait peu catholique. Il chantait sans se montrer, et frappait comme les esprits de nos jours.

Huet (Pierre-Daniel), célèbre évêque d’Avranches, mort en 1721. — On trouve ce qui suit dans le Huetiana, ou Pensées diverses de M. Huet, évêque d’Avranches[2], touchant les broucolaques et les tympanites des îles de l’Archipel. « C’est une chose assez étrange que ce qu’on rapporte des broucolaques des îles de l’Archipel. On dit que ceux qui, après une méchante vie, sont morts dans le péché, paraissent en divers lieux avec la même figure qu’ils portaient pendant leur vie ; qu’ils font souvent du désordre parmi les vivants, frappant les uns, tuant les autres ; rendant quelquefois des services utiles, et donnant toujours beaucoup d’effroi. Ils croient que ces corps sont abandonnés à la puissance du démon, qui les conserve^ les anime et s’en sert pour la vexation des hommes. Le Père Richard, jésuite, employé aux missions de ces îles, il y a environ cinquante ans, donna au public une relation de l’île de Saint-Erini ou de Sainte-Irène, qui était la Thera des anciens, dont la fameuse Cyrène fut une colonie. Il a fait un grand chapitre de l’histoire des broucolaques. Il dit que, lorsque le peuple est infesté de ces apparitions, on va déterrer le corps, qu’on trouve entier et sans corruption, qu’on le brûle, ou qu’on le met en pièces, principalement le cœur ; après quoi les apparitions cessent et le corps se corrompt[3]. Le mot de Broucolaques vient du Grec moderne Bourcos qui signifie de la boue, et de Laucos qui signifie fosse, cloaque, parce qu’on trouve ordinairement, comme on l’assure, les tombeaux où l’on a mis ces corps, pleins de bouc. Je n’examine point si les faits que l’on rapporte sont véritables, ou si c’est une erreur populaire ; mais il est certain qu’ils sont rapportés par tant d’auteurs habiles et dignes de foi, et par tant de témoins oculaires, qu’on ne doit pas prendre parti sans beaucoup d’attention. Il est certain aussi que cette opinion, vraie ou fausse, est fort ancienne, et les auteurs en sont pleins. Lorsqu’on avait tué quelqu’un frauduleusement et par surprise, les anciens habitants croyaient ôter au mort le moyen de s’en venger en lui coupant les pieds, les mains, le nez et les oreilles. Cela s’appelait Acroteriazein. Ils pendaient tout cela au cou des défunts, ou ils le plaçaient sous leurs aisselles, d’où s’est formé le mot Mascalizein qui signifie la même chose. On en lit un témoignage exprès dans les Scholies grecques[4] de Sophocle. C’est

  1. Lenglet-Dufresnoy, Dissertations, t. I.
  2. in-4°, Paris, 1722.
  3. Relation de l’île Sanierini, par le P. Richard, ch. xviii.
  4. Vide Elect., v. 448 ; Meursium in Lycophronem, p. 309 ; Stanleium in Æschil. Cœph. v. 437,