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stances, et y ajoutait des détails commeà un événement qui se serait réellement passé sous ses yeux.

» Mon étonnement avait surpassé mon attente ; mais j’y joignais une appréhension plus grande encore ; je craignais une mystification, et je résolus d’examiner par moi-même ce qui, dans ces apparitions, en apparence si réelles et certainement si faciles à obtenir, appartenait au métier de charlatan, et ce qui pouvait résulter d’une influence magnétique quelconque. Je me retirai dans le fond de la chambre, et j’appelai Bellier, mon drogman. Je lui dis de prendre à part Achmed et de lui demander si, pour une somme d’argent, qu’il fixerait, il voulait me dévoiler son secret ; à la condition, bien entendu, que je m’engagerais à le tenir caché de son vivant. — Le spectacle terminé, Achmed, tout en fumant, s’était mis à causer avec quelques-uns des spectateurs, encore surpris de son talent ; puis après il partit. J’étais à peine seul avec Bellier, que je m’informai de la réponse qu’il avait obtenue. Achmed lui avait dit qu’il consentait à m’apprendre son secret.

» Le lendemain nous arrivâmes à la grande mosquée El-Ahzar, près de laquelle demeurait Achmed l’Algérien. Le magicien nous reçut poliment et avec une gaieté affable ; un enfant jouait près de lui : c’était son fils. Peu d’instants après, un petit noir d’une bizarre tournure nous apporta les pipes. La conversation s’engagea. Achmed nous apprit qu’il tenait sa science de deux cheicks célèbres de son pays et ajouta qu’il ne nous avait montré que bien peu de ce qu’il pouvait faire. — Je puis, dit-il, endormir quelqu’un sur-le-champ, le faire tomber, rouler, entrer en rage, et au milieu de ses accès le forcer de répondre à mes demandes et de me dévoiler tous ses secrets. Quand je le veux aussi, je fais asseoir la personne sur un tabouret isolé, et, tournant autour avec des gestes particuliers, je l’endors immédiatement ; mais elle reste les yeux ouverts, parle et gesticule comme dans l’état de veille.

» Nous réglâmes nos conditions ; il demanda quarante piastres d’Espagne et le serment sur le Koran de ne révéler ce secret à, personne. La somme fut réduite à trente piastres ; et le serment fait ou plutôt chanté, il fit monter son petit garçon et prépara, pendant que nous fumions, tous les ingrédients nécessaires à son opération. Après avoir coupé dans un grand rouleau un petit morceau de papier, il traça dessus les signes à dessiner dans la main et les lettres qui y ont rapport ; puis, après un moment d’hésitation, il me le donna. J’écrivis la prière que voici sous sa dictée : « Anzilou-Aiouha-el-DjenniAiouha-el-Djennoun-Anzilou-Bettakki-Matalahoutouhou-Aleikoum-Taricki-Anzilou-Taricky. » — Les trois parfums sont : « Takeh-Mabachi, — Ambar-Indi. — Kousombra-Djaou. »

» L’Algérien opéra sur son enfant devant moi. Ce petit garçon en avait une telle habitude que les apparitions se succédaient sans difficulté. Il nous raconta des choses fort extraordinaires, et dans lesquelles on remarquait une originalité qui ôtait toute crainte de supercherie. J’opérai le lendemain devant Achmed avec beaucoup de succès, et avec toute l’émotion que peut donner le pouvoir étrange qu’il venait de me communiquer. À Alexandrie je fis de nouvelles expériences, pensant bien qu’avec cette distance je ne pourrais avoir de doute sur l’absence d’intelligence entre le magicien et les enfants que j’employais, et, pour en être encore plus sûr, je les allai chercher dans les quartiers les plus reculés ou sur les routes, au moment où ils arrivaient de la campagne. J’obtins des révélations surprenantes, qui toutes avaient un caractère d’originalité encore plus extraordinaire que ne l’eût été celui d’une vérité abstraite. Une fois entre autres, je fis apparaître lord Prudhoe, qui était au Caire, et l’enfant, dans la description de son costume, se mit à dire : — Tiens, c’est fort drôle, il a un sabre d’argent. Or, lord Prudhoe était le seul peut-être en Égypte qui portât un sabre avec un fourreau de ce métal. De retour au Caire, je sus qu’on parlait déjà de ma science, et un matin, à mon grand étonnement, les domestiques de M. Msarra, drogman du consulat de France, vinrent chez moi pour me prier de leur faire retrouver un manteau qui avait été volé à l’un d’eux. Je ne commençai cette opération qu’avec une certaine crainte. J’étais aussi inquiet des réponses de l’enfant que les Arabes qui attendaient le recouvrement de leur bien. Pour comble de malheur, le caouas ne voulait pas paraître, malgré force parfums que je précipitais dans le feu, et les violentes aspirations de mes invocations aux génies les plus favorables : enfin il arriva et, après les préliminaires nécessaires, nous évoquâmes le voleur. Il parut. Il fallait voir les têtes tendues, les bouches ouvertes, les yeux fixes de mes spectateurs, attendant la réponse de l’oracle, qui en effet nous donna une description de sa figure, de son turban, de sa barbe : — C’est Ibrahim, oui, c’est lui, bien sûr ! — s’écria-t-on de tous côtés ; et je vis que je n’avais plus qu’à appuyer mes pouces sur les yeux de mon patient, car ils m’avaient tous quitté pour courir après Ibrahim. Je souhaite qu’il ait été coupable, car j’ai entendu vaguement parler de quelques coups de bâton qu’il reçut à cette occasion… »

Hasard. Le hasard, que les païens appelaient la Fortune, a toujours eu un culte étendu, quoiqu’il ne soit rien par lui-même. Les joueurs, les guerriers, les coureurs d’aventures, ceux qui cherchent la fortune dans les roues de la loterie, dans l’ordre des cartes, dans la chute des dés, dans un tour de roulette, ne soupirent qu’après le hasard ! Qu’est-ce donc que le hasard ? Un évé-