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fois midi, et j’ai observé que les deux tiers des témoins avaient vu, et que l’autre tiers n’avait rien vu. Quoique je n’eusse rien vu moi-même, ceux qui voyaient avaient une telle frayeur et un tel tremblement, que ceux qui ne voyaient pas s’en apercevaient bien. Un gentilhomme, tout près de moi, disait : — Ces damnés sorciers ont une seconde vue ; car le diable m’emporte si je vois quelque chose ! — Et, sur-le-champ, il s’opéra un changement dans sa physionomie. Il voyait… — Plus effrayé que les autres, il s’écria : — Vous tous qui ne voyez rien, ne dites rien ; car je vous assure que c’est un fait visible pour tous ceux qui ne sont pas aveugles. — Ceux qui voyaient ces choses-là pouvaient décrire les espèces de batterie des fusils, leur longueur et leur largeur, et la poignée des épées, les ganses des bonnets, etc. »

Ce phénomène singulier, auquel la multitude croit, bien que seulement les deux tiers eussent vu, peut se comparer, ajoute Walter Scott, à l’action de ce plaisant qui, se posant dans l’attitude de l’étonnement, les yeux fixés sur le lion de bronze bien connu qui orne la façade de l’hôtel de Northumberland dans le Strand à (Londres), attira l’attention de ceux qui le regardaient en disant : — Par le ciel, il remue !… il remue de nouveau ! — et réussit ainsi, en peu de minutes, à faire obstruer la rue par une foule immense : les uns s’imaginant avoir effectivement aperçu le lion de Percy remuer la queue, les autres attendant pour admirer la même merveille.

De véritables hallucinations sont enfantées par une funeste maladie, que diverses causes peuvent faire naître. Leur source la plus fréquente est produite par les habitudes d’intempérance de ceux qui, à la suite d’excès de boisson, contractent ce que le peuple nomme les diables bleus, sorte de spleen ou désorganisation mentale. Les joyeuses illusions que, dans les commencements, enfante l’ivresse, s’évanouissent avec le temps et dégénèrent en impressions d’effroi. Le fait qui va suivre fut raconté à l’auteur par un ami du patient. Lu jeune homme riche, qui avait mené une vie de nature à compromettre à la fois sa santé et sa fortune, se vit obligé de consulter un médecin. Une des choses dont il se plaignait le plus était la présence habituelle d’une suite de fantômes habillés de vert, exécutant dans sa chambre une danse bizarre, dont il était forcé de supporter la vue, quoique bien convaincu que tout le corps de ballet n’existait que dans son cerveau.

— Le médecin lui prescrivit un régime ; il lui recommanda de se retirer à la campagne, d’y observer une diète calmante, de se lever de bonne heure, de faire un exercice modéré, d’éviter une trop grande fatigue. Le malade se conforma à cette prescription et se rétablit.

Un autre exemple d’hallucinations est celui de M. Nicolaï, célèbre libraire de Berlin. Cet homme ne se bornait pas à vendre des livres, c’était encore un littérateur ; il eut le courage moral d’exposer à la Société philosophique de Berlin le récit de ses souffrances, et d’avouer qu’il était sujet à une suite d’illusions fantastiques. Les circonstances de ce fait peuvent être exposées très-brièvement, comme elles l’ont été au public, attestées par les docteurs Ferriar, Hibbert et autres qui ont écrit sur la démonologie. Nicolaï fait remonter sa maladie à une série de désagréments qui lui arrivèrent au commencement de 1791. L’affaissement d’esprit occasionné par ces événements fut encore aggravé par ce fait, qu’il négligea l’usage de saignées périodiques auxquelles il était accoutumé ; un tel état de santé créa en lui la disposition à voir des groupes de fantômes qui se mouvaient et agissaient devant lui, et quelquefois même lui parlaient. Ces fantômes n’offraient rien de désagréable à son imagination, soit par leur forme, soit par leurs actions ; et le visionnaire possédait trop de force d’âme pour être saisi, à leur présence, d’un sentiment autre que celui de la curiosité, convaincu qu’il était, pendant toute la durée de l’accès, que ce singulier effet n’était que la conséquence de sa mauvaise santé, et ne devait sous aucun autre rapport être considéré comme sujet de frayeur. Au bout d’un certain temps, les fantômes parurent moins distincts dans leurs formes, prirent des couleurs moins vives, s’affaiblirent aux yeux du malade, et finirent par disparaître entièrement.

Un malade du docteur Gregory d’Édimbourg, l’ayant fait appeler, lui raconta dans les termes suivants ses singulières souffrances : — J’ai l’habitude, dit-il, de dîner à cinq heures ; et lorsque six heures précises arrivent, je suis sujet à une visite fantastique. La porte de la chambre, même lorsque j’ai eu la faiblesse de la verrouiller, ce qui m’est arrivé souvent, s’ouvre tout à coup : une vieille sorcière, semblable à celles qui hantaient les bruyères de Forrès, entre d’un air menaçant, s’approche, se pose devant moi, mais si brusquement, que je ne puis l’éviter, et alors me donne un violent coup de sa béquille ; je tombe de ma chaise sans connaissance, et je reste ainsi plus ou moins longtemps. Je suis tous les jours sous la puissance de cette apparition. Quelquefois la vieille est une dame qui, en parure de bal, me fait des mines. — Le docteur demanda au malade s’il avait jamais invité quelqu’un à être avec lui témoin d’une semblable visite. Il répondit que non. Son mal était si particulier, on devait si naturellement l’imputer à un dérangement mental qu’il lui avait toujours répugné d’en parler à qui que ce fut. — Si vous le permettez, dit le docteur, je dînerai avec vous aujourd’hui tête cà tête, et nous verrons si votre méchante vieille viendra troubler notre société. Le malade accepta avec gratitude. Ils dînèrent, et le docteur, qui supposait l’existence de quel-