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Frayeur. Piron racontait souvent qu’il avait environ dix ans lorsqu’un soir d’hiver, soupant en famille chez son père, on entendit des cris affreux qui partaient de chez un tonnelier voisin ; on alla voir ce que c’était. Un petit garçon, transi de peur, conduisit les curieux dans la chambre d’où venaient les cris, qui redoublèrent bientôt. — Ah ! messieurs, dit le tonnelier tremblant, couché en travers sur son lit, daignez au plus tôt faire appeler un chirurgien, car je sens que je n’ai pas longtemps à vivre. — Le père de Piron, après avoir chargé un domestique de remplir les intentions du prétendu malade, s’étant approché de lui, et l’ayant interrogé sur la cause de sa maladie : — Vous voyez, mon cher voisin, répondit le tonnelier, l’homme le plus misérable ! Ah ! maudite femme ! on m’avait bien dit que ses liaisons avec la plus détestable sorcière de la Bourgogne ne tarderaient guère à m’être fatales… — Ces propos faisant soupçonner que la tête de cet homme était dérangée, on attendit que le chirurgien fût arrivé. — Monsieur, s’écria le tonnelier lorsqu’il le vit entrer, j’implore votre secours, je suis un homme mort ! — Sachons d’abord, lui dit le chirurgien, de quoi il s’agit. — Ah ! faut-il que je sois forcé, en vous disant d’où partent mes douleurs, de déshonorer ma femme même ! répondit le pauvre homme. Mais

Frédéric Barberousse.


elle le mérite, et, dans mon état, je n’ai plus rien à ménager. Apprenez donc qu’en rentrant chez moi ce soir, après avoir passé deux heures au plus chez le marchand de vin du coin, ma femme, qui me croit toujours ivre, m’ayant trop poussé à bout, je me suis vu forcé, pour pouvoir me coucher en paix, d’être un peu rude à son égard ; sur quoi, après m’avoir menacé de sa vengeance, elle s’est sauvée du logis ; je me suis déshabillé pour gagner mon lit ; mais au moment d’y monter… Dieu ! la méchante créature ! une main, pour ne pas dire une barre de fer, plus brûlante qu’un tison, est tombée sur ma fesse droite, et la douleur que j’en ai ressentie, jointe à la peur qui m’a saisi, m’a fait manquer le cœur, au point que je ne crois pas y survivre !… Mais vous en riez, je crois ? Eh bien, messieurs, voyez si toute autre main que celle de Lucifer même put jamais appliquer une pareille claque ! Au premier aspect de la plaie, de sa noirceur et des griffes qui semblaient y être imprimées, la plupart des assistants furent saisis, et le petit Piron voulut se sauver. Mais on rassura le malade sur les idées qu’il avait conçues, tant contre sa femme que contre la prétendue sorcière ; le chirurgien lui appliqua les remèdes convenables : on le laissa un peu dans son effroi, ce qui le corrigea légèrement de son ivrognerie. Ce remède avait été employé par la femme (au moyen d’un parent qu’elle avait fait cacher dans la maison) pour corriger l’intempérance du tonnelier. Voici une autre anecdote assez connue : Un homme, couché dans une hôtellerie, avait pour voisinage, sans qu’il le sût, une compagnie