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triangle ; la table servie a trois, cinq, sept, neuf couverts et plus, suivant le nombre des convives, mais toujours en nombre impair. Tous les termes qu’on y emploie sont empruntés de l’artillerie, comme ceux qu’on emploie dans les travaux sont empruntés de l’architecture. On porte la première santé au prince à qui on obéit, la seconde au grand maître, la troisième au vénérable de la loge. On boit ensuite aux surveillants, aux nouveaux reçus et à tous les frères. — Le fils d’un franc-maçon est Loufton[1] ; il peut être reçu à quatorze ans. Le fils d’un profane (celui qui n’est pas franc-maçon) ne peut l’être qu’à vingt et un ans. Entre plusieurs signes mystérieux qui se voient dans les loges, on remarque au milieu de Y étoile flamboyante, un G, première lettre de God (en anglais Dieu). — Il y a dans la maçonnerie trois principaux grades. Il faut être apprenti avant d’être compagnon, et compagnon avant d’être maître. Les maîtres n’entrent en loge qu’avec le geste de l’horreur[2], et cela en mémoire de la mort d’Adoniram ou Hiram, dont on raconte diversement l’histoire. — Cette histoire ou ce conte n’est que pour amuser les niais. On peut appeler ainsi ceux qui se parent des trois grades dont nous venons de parler, et qui ne sont pas initiés aux grands secrets réservés aux dignitaires supérieurs. — Les uns vous diront que dans ce récit il s’agit de Hiram, roi de Tyr, qui fit alliance avec Salomon, et lui fut d’un grand secours pour la construction du temple. — D’autres content que ce Hiram était un excellent ouvrier en or, en argent et en cuivre ; qu’il était fils d’un Tyrien et d’une femme de la tribu de Nephtali[3] ; que Salomon le fit venir de Tyr pour travailler aux ornements du temple, comme on le voit au quatrième livre des Rois ; qu’entre autres ouvrages, il construisit, à l’entrée du temple, deux colonnes de cuivre, qui avaient chacune dix-huit coudées de haut et quatre de diamètre ; qu’il donna le nom de Jahin à l’une, près de laquelle on payait les apprentis, et le nom de Booz à l’autre, près de laquelle on payait les compagnons, etc. Mais voici l’histoire d’Adoniram[4] ou de Hiram, suivant l’opinion la plus commune chez les francs-maçons. Ils prétendent qu’elle a été puisée dans le Talmud, où on lit que le vénérable Hiram donna l’habit et le caractère de maçon à Salomon, qui se fit honneur de le porter.

Adoniram, que Salomon avait chargé de diriger les travaux de son temple, avait un si grand nombre d’ouvriers à payer, qu’il ne pouvait les connaître tous. Pour ne pas risquer de payer l’apprenti comme le compagnon, et le compagnon comme le maître, il convint avec les maîtres de mots et d’attouchements qui serviraient à les distinguer de leurs subalternes, et donna pareillement aux compagnons des signes de reconnaissance qui n’étaient point connus des apprentis. — Trois compagnons, peu satisfaits de leur paye, formèrent le dessein de demander le mot de maître à Adoniram, dès qu’ils pourraient le trouver seul, ou de l’assassiner s’il ne voulait pas le leur dire. Ils l’attendirent un soir dans le temple, et se postèrent, l’un au nord, l’autre ail midi, le troisième à l’orient. Adoniram étant entré seul par la porte de l’occident, et voulant sortir par celle du midi, un des trois compagnons lui demanda le mot de maître, en levant sur lui le marteau qu’il tenait à la main. Adoniram lui dit qu’il n’avait pas reçu le mot de maître de cette façon-là. Aussitôt le compagnon lui porta sur la tête un coup de marteau. Le coup n’ayant pas été assez violent pour le renverser, Adoniram s’enfuit vers la porte du nord, où il trouva le second, qui lui en fit autant. Cependant ce second coup lui laissant encore quelques forces, il tenta de sortir par la porte de l’orient, où le troisième, après lui avoir fait la même demande que les deux premiers, acheva de l’assommer. Les assassins enfouirent le corps sous un tas de pierres, et quand la nuit fut venue, ils le transportèrent sur un monticule où ils l’enterrèrent ; et, afin de pouvoir reconnaître l’endroit, ils plantèrent une branche d’acacia sur la fosse. — Salomon, ayant été sept jours sans voir Adoniram, ordonna à neuf maîtres de le chercher. Ces neuf maîtres exécutèrent fidèlement l’ordre. Après de longues et vaines recherches, trois d’entre eux, qui se trouvaient fatigués, s’étant assis par hasard à l’endroit où Adoniram avait été enterré, l’un, des trois arracha machinalement la branche d’acacia, et s’aperçut que la terre, en cet endroit, avait été remuée depuis peu. Les trois maîtres, curieux d’en savoir la cause, se mirent à fouiller et trouvèrent le corps d’Adoniram. Alors ils appelèrent les autres, et ayant tous reconnu leur chef, dans la pensée que quelques compagnons pouvaient bien avoir commis le crime, et qu’ils avaient peut-être tiré d’Adoniram le mot de maître, ils le changèrent sur-le-champ[5], et allèrent rendre compte à Salomon de cette aventure. Ce prince en fut tou-

  1. La plupart des Français disent improprement Louveteau.
  2. Les lamentations des maîtres sur la mort de Hiram, décédé il y a bientôt trois mille ans, rappellent, en quelque sorte, les fêtes funèbres d’Adonis chez les païens.
  3. Salomon tulit Hiram de Tyro, filium mulieris viduee de tribu Nephtali, artificem aerarium, etc. [Reg., lib. IV.)
  4. L’Écriture nous apprend que celui qui conduisait les travaux du temple de Salomon s’appelait Adoniram. Josèphe, dans son Histoire des Juifs, le nomme Adoram.
  5. Le mot de maître était Jehovah. Celui qu’on a pris depuis signifie, selon les francs-maçons, le corps est corrompu.