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sur la place publique, l’air agité, tenant sa faux à la main, et ceint d’une écharpe dorée. Il monta sur un autel élevé, et s’écria que ce lieu était honoré de la présence d’un dieu. À ces mots, le peuple accouru commença à faire des prières, tandis que l’imposteur prononçait dés mots en langue phénicienne, ce qui servait à redoubler l’étonnement général. — Il courut ensuite vers le lieu où il avait caché son œuf, et, entrant dans l’eau, il commença à chanter les louanges d’Apollon et d’Esculape, et à inviter ce dernier à se montrer aux mortels ; puis, enfonçant une coupe dans la fontaine, il en retira l’œuf mystérieux. Le prenant dans sa main, il s’écria : « Peuples, Voici votre Dieu ! » Toute la foule attentive poussa des cris de joie, en voyant Alexandre casser l’œuf et en tirer un petit serpent qui s’entortilla dans ses doigts.

Chacun se répandit en accents de joie ; les uns demandant au dieu la santé, les autres les honneurs ou des richesses. — Enhardi par ce succès, Alexandre fit annoncer le lendemain que le dieu qu’ils avaient vu si petit lit veille avait repris, sa grandeur naturelle.

Il se plaça sur un lit, revêtu de ses habits de prophète, et, tenant dans son sein le serpent qu’il avait apporté de Macédoine, il le laissa voir entortillé autour de son cou et traînant une longue queue ; il en cachait la tête sous son aisselle, et faisait paraître à la place la figure humaine qu’il avait préparée. Le lieu de la scène était faiblement éclairé ; on entrait par une porte et on sortait par une autre ; sans qu’il fût possible, à cause de l’affluence, de s’arrêter longtemps. Ce spectacle dura quelques jours ; il se renouvelait toutes les fois qu’il arrivait quelques étrangers. On fit des images du dieu en cuivre et en argent.

Alexandre, voyant les esprits préparés, annonça que le dieu rendrait des oracles, et qu’on eût à lui écrire des billets cachetés. Alors, s’enfermant dans le sanctuaire du temple qu’on venait de bâtir, il faisait appeler ceux qui avaient donné des billets, et les leur rendait sans qu’ils parussent avoir été ouverts, mais accompagnés de la réponse du dieu. Ces billets avaient été lus avec tant d’adresse qu’il était impossible de s’apercevoir qu’on eût rompu le cachet, Des espions et des émissaires informaient le prophète de tout ce qu’ils pouvaient apprendre, et ils l’aidaient à rendre ses réponses, qui d’ailleurs étaient toujours obscures ou ambiguës, suivant la prudente coutume des oracles. On apportait des présents pour le dieu et pour le prophète.

Voulant nourrir l’admiration par une nouvelle supercherie, Alexandre annonce un jour qu’Esculape répondrait en personne aux questions qu’on lui ferait : cela s’appelait des réponses de la propre bouche du dieu. On opérait cette fraude par le moyen de quelques artères de grues, qui aboutissaient d’un côté à la tête du

dragon postiche, et de l’autre a la bouche d’un homme caché dans une chambre voisine ; — à moins pourtant qu’il n’y eût dans son fait quelque magnétisme. — Les réponses se rendaient en prose ou en vers, mais toujours dans un style si vague, qu’elles prédisaient également le revers où le succès. Ainsi l’empereur Marc-Aurèle, faisant la guerre aux Germains, lui demanda un oracle. On dit même qu’en 174 il fit venir Alexandre à Rome, le regardant comme le dispensateur de l’immortalité. L’oracle sollicité disait qu’il fallait, après les cérémonies prescrites, jeter deux lions vivants dans le Danube, et qu’ainsi l’on aurait l’assurance d’une paix prochaine, précédée d’une victoire éclatante. On exécuta la prescription. Mais les deux lions traversèrent le fleuve à la nage, les barbares les tuèrent, et mirent ensuite l’armée de l’empereur en déroute ; à quoi le prophète répliqua qu’il avait annoncé la victoire, mais qu’il n’avait pas désigné le vainqueur.

Une autre fois, un illustre personnage fit demander au dieu quel précepteur il devait donner à son fils ; il lui fut répondu : — Pythagore et Homère. L’enfant mourut quelque temps après. — L’oracle annonçait la chose, dit le père, en donnant au pauvre enfant deux précepteurs morts depuis longtemps. S’il eût vécu, on l’eût instruit avec les ouvrages de Pythagore et d’Homère, et l’oracle aurait encore eu raison.

Quelquefois le prophète dédaignait d’ouvrir les billets, lorsqu’il se croyait instruit de la demande passes agents ; il s’exposait à de singulières erreurs. Un jour il donna un remède pour le mal de côté, en réponse à une lettre qui lui demandait quelle était la patrie d’Homère. On ne démasqua point cet imposteur, que l’accueil de Marc-Aurèle avait entouré de vénération. Il avait prédit qu’il mourrait à cent cinquante ans, d’un coup de foudre, comme Esculape : il mourut dans sa soixante-dixième année, d’un ulcère à la jambe, ce qui n’empêcha pas qu’après sa mort il eût, comme un demi-dieu, des statues et des sacrifices.

Alexandre de Tralles, médecin, né à Tralles, dans l’Asie Mineure, au sixième siècle. On dit qu’il était très-savant ; ses ouvrages prouvent au moins qu’il était très-crédule. Il conseillait à ses malades les amulettes et les paroles charmées. Il assure, dans sa Médecine pratique[1], que la figure d’Hercule étouffant le lion de la forêt de Némée, gravée sur une pierre et enchâssée dans un anneau, est un excellent remède contre la colique. Il prétend aussi qu’on guérit parfaitement la goutte, la pierre et les lièvres par des philactères et des charmes. Cela montre au moins qu’il ne savait pas les guérir autrement.

  1. Liv. X, ch. i.
2.