Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
EXP
EXT
— 256 —

sant autant de mensonges que de réponses, l’abbé s’en aperçut et le conjura de dire la vérité ; il obéit. Il apprit au bon abbé comment se portaient plusieurs défunts dont il voulait savoir des nouvelles. Un des frères qui l’accompagnaient voulut lier conversation avec le diable.

— Tais-toi, lui dit l’esprit malin, tu as volé hier douze sous à ton abbé ; ces douze sous sont maintenant dans ta ceinture. — L’abbé, ayant entendu ces choses, voulut bien en donner l’absolution à son moine ; après quoi il ordonna au diable de quitter la possédée.

» — Où voulez-vous que j’aille ? demanda le démon. — Je vais ouvrir ma bouche, répondit l’abbé, tu entreras dedans, si tu peux. — Il y fait trop chaud, répliqua le diable ; vous avez communié. — Eh bien ! mets-toi ici. Et l’abbé, qui était gai, tendait son pouce. — Merci, vos doigts sont sanctifiés. — En ce cas, vas où tu voudras, mais pars. — Pas si vite, répliqua le diable ; j’ai permission de rester ici deux ans encore…

» L’abbé dit alors au diable : — Montre-toi a nos yeux dans ta forme naturelle. — Vous le voulez ? — Oui. — Voyez.

» En même temps la possédée commença de grandir et de grossir d’une manière effroyable. En deux minutes elle était déjà haute comme une tour de trois cents pieds ; ses yeux devinrent ardents comme des fournaises et ses traits épouvantables. Les deux moines tombèrent évanouis ; l’abbé, qui seul avait conservé du courage, adjura le diable de rendre à la possédée la taille et la forme qu’elle avait d’abord. Il obéit encore et dit à Guillaume : — Vous faites bien d’être pur : car nul homme ne peut, sans mourir, me voir tel que je suis, s’il est souillé. » Voy. Pactes, Possessions, etc.

Expiation. Les anciens Arabes coupaient l’oreille à quelque animal et le lâchaient au travers des champs en expiation de leurs péchés.

— Un juif, dit Saint-Foix, s’arme d’un couteau, prend un coq, le tourne trois fois autour de sa tête et lui coupe la gorge en lui disant : — Je te charge de mes péchés ; ils sont à présent à toi : tu vas à la mort, et moi je suis rentré dans le chemin de la vie éternelle.

Extases. L’extase (considérée comme crise matérielle) est un ravissement d’esprit, une suspension des sens causée par une forte contemplation de quelque objet extraordinaire et surnaturel. Les mélancoliques peuvent avoir des extases. Saint Augustin fait mention d’un prêtre qui paraissait mort à volonté et qui resta mort, très-involontairement sans doute, dans une de ses expériences. S’il fit le mort, il le fit bien. Ce prêtre se nommait Prétextât ; il ne sentait rien de ce qu’on lui faisait souffrir pendant son extase.

Les démonomanes appellent l’extase un transport en esprit seulement, parce qu’ils reconnaissent le transport en chair et en os, par l’aide et assistance du diable. Une sorcière se frotta de graisse, puis tomba pâmée sans aucun sentiment ; et trois heures après elle retourna en son corps, disant nouvelles de plusieurs pays qu’elle ne connaissait point, lesquelles nouvelles furent par la suite avérées[1]. Le magnétisme fait tout cela.

Cardan dit avoir connu un homme d’église qui tombait sans vie et sans haleine toutes les fois qu’il le voulait. Cet état durait ordinairement quelques heures ; on le tourmentait, on le frappait, on lui brûlait les chairs sans qu’il éprouvât aucune douleur. Mais il entendait confusément, et comme à une distance très-éloignée, le bruit qu’on faisait autour de lui. Cardan assure encore qu’il tombait lui-même en extase à sa volonté ; qu’il entendait alors les voix sans y rien comprendre, et qu’il ne sentait aucunement les douleurs.

Le père de Prestantius, après avoir mangé un fromage maléficié, crut qu’étant devenu cheval il avait porté de très-pesantes charges, quoique son corps n’eût pas quitté le lit ; et l’on regarda comme une extase produite par sortilège ce qui n’était qu’un cauchemar causé par une indigestion.

« Saint Augustin distingue deux sortes d’extases[2], l’une naturelle et l’autre surnaturelle, et cite comme appartenant à la première l’exemple d’un prêtre nommé Restitut, de l’église de Talama. Toutes les fois qu’on imitait devant lui la voix d’un homme qui se plaint, il perdait l’usage de ses sens et devenait semblable à un mort ; de sorte qu’on pouvait le piquer, le pincer ou même le brûler sans qu’il le sentît. Sa respiration s’arrêtait. Cependant, si on lui parlait sur un ton élevé, il lui semblait, disait-il, entendre des voix lointaines[3]. » Les extases naturelles sont généralement périodiques ou amenées par des causes spéciales. L’extase sur-

  1. Bodin, dans la Démonomanie.
  2. La Cité de Dieu, liv. XIV, ch. xxiv.
  3. Gorres, Mystique, liv. IV, ch. v.