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la mort par son attouchement ; ils n’oublient rien de ce qui peut détourner la colère de ce monstre. Ils exposent de tous côtés des mets pour lui. Presque tous les habitants pratiquent une cérémonie bizarre et extravagante, par laquelle ils prétendent chasser le diable de leurs villages ; huit jours avant cette cérémonie, on s’y prépare par des danses et des festins ; il est permis d’insulter impunément les personnes même les plus distinguées. Le jour de la cérémonie arrivé, le peuple commence dès le matin à pousser des cris horribles ; les habitants courent de tous côtés comme des furieux, jetant devant eux des pierres et tout ce qu’ils trouvent sous leurs mains ; les femmes furètent dans tous les coins de la maison, et récurent toute la vaisselle, de peur que le diable ne se soit fourré dans une marmite ou dans quelque autre ustensile. La cérémonie se termine quand on a bien cherché et qu’on s’est bien fatigué ; alors on est persuadé que le diable est loin.

Les habitants des îles Philippines se vantent d’avoir des entretiens avec le diable. Ils racontent que quelques-uns d’entre eux, ayant hasardé de parler seuls avec lui, avaient été tués par ce génie malfaisant ; aussi se rassemblent-ils en grand nombre lorsqu’ils veulent conférer avec le diable. Les insulaires des Maldives mettent tout en usage lorsqu’ils sont malades pour se rendre le diable favorable. Ils lui sacrifient des coqs et des poules.

Le diable nous est singulièrement dépeint par le pape saint Grégoire, dans sa Vie de saint Benoit. Un jour que le saint allait dire ses prières à l’oratoire de Saint-Jean, sur le mont Cassin, il rencontra le diable sous la forme d’un vétérinaire, avec une fiole d’une main et un licou de l’autre. Le texte disait : In mulo medici specie ; par l’introduction d’une virgule qui décompose le sens : In mulo, medici specie, un copiste fit du diable ainsi déguisé un docteur monté sur sa mule, comme cheminaient les docteurs en

 
Diable
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médecine avant l’invention des carrosses, et un tableau de cet épisode ayant été exécuté d’après ce texte corrompu, Satan a été souvent représenté avec la robe doctorale et les instruments de la profession en croupe sur sa monture.

Une autre fois, on dénonça à saint Benoît la conduite légère d’un jeune frère appartenant à l’un des douze monastères affiliés à la règle du réformateur. Ce moine ne voulait ou ne pouvait prier avec assiduité ; à peine s’était-il mis à genoux, qu’il se levait et allait se promener. Saint Benoît ordonna qu’on le lui amenât au mont Cassin, et là, lorsque le moine, selon son habitude, interrompit ses devoirs et sortit de la chapelle, le saint vit un petit diable noir qui le tirait de toutes ses forces par le pan de sa robe.

Parmi les innombrables épisodes de l’histoire du diable dans les Vies des Saints, quelques-uns sont plus bizarres, quelques autres plus effrayants. Saint Antoine vit Satan dresser sa tête de géant au-dessus des nuages, et étendre ses larges mains pour intercepter les âmes des morts qui prenaient leur vol vers le ciel. Parfois le diable est un véritable singe, et sa malice ne s’exerce qu’en espiègleries. C’est ainsi que, pendant des années, il se tint aux aguets pour troubler la piété