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ques et que, s’ils sont étendus dans un bateau, le bateau tournera jusqu’à ce que la tête du corps mort regarde le septentrion. — François Rubus, qui avait une crédulité très-solide, reçoit comme vrais la plupart de ces faits inexplicables. Mais tout ce qui tient du prodige, il l’attribue au prestige du démon[1], et c’est un moyen facile de sortir d’embarras.

Disons un mot du tombeau de Mahomet. Beaucoup de gens croient qu’il est suspendu, à Médine, entre deux pierres d’aimant placées avec art, l’une au-dessus et l’autre au-dessous ; mais ce tombeau est de pierre comme tous les autres, et bâti sur le pavé du temple. — On lit quelque part, à la vérité, que les mahométans avaient conçu un pareil dessein ; ce qui a donné lieu à la fable que le temps et l’éloignement des lieux ont fait passer pour une vérité, et que l’on a essayé d’accréditer par des exemples. On voit dans Pline que l’architecte Dinochàrès commença de voûter, avec des pierres d’aimant, le temple d’Arsinoé à Alexandrie, afin de suspendre en l’air la statue de cette reine ; il mourut sans avoir exécuté ce projet, qui eût échoué. — Rufin conte quel dans le temple de Sérapis, il y avait un chariot de fer que des pierres d’aimant tenaient suspendu ; que ces pierres ayant été ôtées, le chariot tomba et se brisa. Bède rapporte également, d’après des contes anciens, que le cheval de Bellérophon, qui était de fer, fut suspendu entre deux pierres d’aimant.

C’est sans doute à la qualité minérale de l’aimant qu’il faut attribuer ce qu’assurent quelques-uns, que les blessures faites avec des armes aimantées sont plus dangereuses et plus difficiles à guérir, ce qui est détruit par l’expérience ; les incisions faites par des chirurgiens avec des instruments aimantés ne causent aucun mauvais effet. Rangez dans la même classe l’opinion qui fait de l’aimant un poison, parce que des auteurs le placent dans le catalogue des poisons. Gardas de Huerta, médecin d’un vice-roi espagnol, rapporte au contraire que les rois de Ceylan avaient coutume de se faire servir dans des plats de pierre d’aimant, s’imaginant par là conserver leur vigueur.

On ne peut attribuer qu’à la vertu magnétique ce que dit Ætius, que si un goutteux tient quelque temps dans sa main une pierre d’aimant, il ne se sent plus de douleur, ou que du moins il éprouve un soulagement. C’est à la même vertu qu’il faut l’apporter ce qu’assure Marcellus Empiricus, que l’aimant guérit les maux de tête. Ces effets merveilleux ne sont qu’une extension gratuité de sa vertu attractive, dont tout le monde convient. Les hommes, s’étant aperçus de cette force secrète qui attire les corps magnétiques, lui ont donné encore une attraction, d’un ordre différent, la vertu de tirer la douleur de toutes les parties du corps ; c’est ce qui a fait ériger l’aimant en philtre.

On dit aussi que l’aimant resserre les nœuds de l’amitié paternelle et de l’union conjugale, en même temps qu’il est très-propre aux opérations magiques. Les basilidiens en faisaient des talismans pour chasser les démons. Les fables qui regardent les vertus de cette pierre sont en grand nombre. Dioscoride assure qu’elle est pour les voleurs un utile auxiliaire ; quand ils veulent piller un logis, dit-il, ils allument du feu aux quatre coins, et y jettent des morceaux d’aimant. La fumée qui en résulte est si incommode, que ceux qui habitent la maison sont forcés de l’abandonner. Malgré l’absurdité de cette fable, mille ans après Dioscoride, elle a été adoptée par les écrivains qui ont compilé les prétendus secrets merveilleux d’Albert le Grand.

Mais on ne trouvera plus d’aimant comparable à celui de Laurent Guasius. Cardan affirme que toutes les blessures faites avec des armes frottées de cet aimant ne causaient aucune douleur.

Encore une fable : je ne sais quel écrivain assez grave a dit que l’aimant fermenté dans du sel produisait et formait le petit poisson appelé rémore, lequel possède la vertu d’attirer l’or du puits le plus profond. L’auteur de cette recette savait qu’on ne pourrait jamais le réfuter par l’expérience[2] ; et c’est bien dans ces sortes de choses qu’il ne faut croire que les faits éprouvés.

Aimar. Voy. Baguette divinatoire.

Ajournement. On croyait assez généralement autrefois que, si quelque opprimé, au moment de mourir, prenait Dieu pour juge, et s’il ajournait son oppresseur au tribunal suprême, il se faisait toujours une manifestation du gouvernement temporel de la Providence. Le mot toujours est une témérité, car on ne cite que quelques faits à l’appui de cette opinion. Le roi de Castille Ferdinand IV fut ajourné par deux gentils hommes injustement condamnés, et mourut au bout de trente jours. Énéas Sylvius raconte, et c’est encore un fait constaté, que François Ier, duc de Bretagne, ayant fait assassiner son frère (en 1450), ce prince, en mourant, ajourna son meurtrier devant Dieu, et que le duc expira au jour fixé[3].

Nous ne mentionnerons ici l’ajournement du grand maître des templiers, que l’on a dit avoir cité le pape et le roi au tribunal de Dieu, que pour faire remarquer au lecteur que cet ajournement a été imaginé longtemps après le supplice de ce grand maître. Voy. Templiers.

Akbaba, vautour qui vit mille ans en se

  1. Discours sur les pierres précieuses dont il est fait mention dans l’Apocalypse.
  2. Brown, au lieu cité.
  3. Voyez, dans les Légendes des Femmes dans la vie réelle, l’ajournement de la femme du comte Alarcos, et la légende de l’ajournement dans les Légendes des Vertus théologales et cardinales.