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Toute l’antiquité a remarqué que les sorciers charmaient les serpents, qui quelquefois tuent le charmeur. Un sorcier de Salzbourg, devant tout le peuple, fit assembler en une fosse tous les serpents d’une lieue à la ronde, et là les fit tous mourir, hormis le dernier, qui était grand, lequel, sautant furieusement contre le sorcier, le tua. « En quoi il appert que ce n’est pas le mot hipokindo, comme dit Paracelse, ni autres mots semblables, ni certaines paroles du psaume 9e qui font seuls ces prodiges ; car comment les serpents eussent-ils ouï la voix d’un homme d’une lieue à la ronde, si le diable ne s’en fût mêlé[1].

Nicétas indique à ce propos un charme qui s’opère sans le secours des paroles : « On tue un serpent, une vipère et tout animal portant aiguillon, dit-il, en crachant dessus avant déjeuner… » Figuier prétend qu’il a tué diverses fois des serpents de cette manière, « mouillant de sa salive un bâton ou une pierre, et en donnant un coup sur la tête du serpent… »

On cite un grand nombre d’autres charmes dont les effets sont moins vrais qu’étonnants. Dans quelques villages du Finistère, on emploie celui-ci : on place secrètement sur l’autel quatre pièces de six liards, qu’on pulvérise après la messe ; et cette poussière, avalée dans un verre de vin, de cidre ou d’eau-de-vie, rend invulnérable à la course et à la lutte[2]. Ces charmes se font au reste à Finsu du curé ; car l’Église a toujours sévèrement interdit ces superstitions.

Le Grand Grimoire donne un moyen de charmer les armes à feu et d’en rendre l’effet infaillible ; il faut dire en les chargeant : « Dieu y ait part, et le diable la sortie ; » et, lorsqu’on met en joue, il faut dire en croisant la jambe gauche sur la droite : Non tradas… Mathon. Amen, etc.

La plupart des charmes se font ainsi par des paroles dites ou tracées dans ce sens. Charme vient du mot latin carmen, qui signifie non-seulement des vers et de la poésie, mais une formule de paroles déterminées dont on ne doit point s’écarter. On nommait carmina les lois, les formules des jurisconsultes, les déclarations de guerre, les clauses d’un traité, les évocations des dieux[3]. Tite-Live appelle lex horrendi carminis la loi qui condamnait à mort Horace meurtrier de sa sœur.

Quand les Turcs ont perdu un esclave qui s’est enfui, ils écrivent une conjuration sur un papier qu’ils attachent à la porte de la hutte ou de la cellule de cet esclave, et il est forcé de revenir au plus vite, devant une main invisible qui le poursuit à grands coups de bâton[4].

Pline dit que de son temps, par le moyen de certains charmes, on éteignait les incendies, on arrêtait le sang des plaies, on remettait les membres disloqués, on guérissait la goutte, on empêchait un char de verser, etc. — Tous les anciens croyaient fermement aux charmes, dont la formule consistait ordinairement en certains vers grecs ou latins.

Bodin rapporte, au chap. v du liv. III de la Démonomanie, qu’en Allemagne les sorcières tarissent par charme le lait des vaches, et qu’on s’en venge par un contre-charme qui est tel : — On met bouillir dans un pot du lait de la vache tarie, en récitant certaines paroles (Bodin ne les indique pas) et frappant sur le pot avec un bâton.

En même temps le diable frappe la sorcière d’autant de coups, jusqu’à ce qu’elle ait ôté le charme.

On dit encore que si, le lendemain du jour où l’on est mis en prison, on avale à jeun une croûte de pain sur laquelle on aura écrit : Senozam, Gozoza, Gober, Dom, et qu’on dorme ensuite sur le côté droit, on sortira avant trois jours.

On arrête les voitures en mettant au milieu du chemin un bâton sur lequel sont écrits ces mots : Jérusalem, omnipolens, etc., convertis-toi, arrête-toi là. Il faut ensuite traverser le chemin par où l’on voit arriver les chevaux.

On donne à un pistolet la portée de cent pas, en enveloppant la balle dans un papier où l’on a inscrit le nom des trois rois. On aura soin, en ajustant, de retirer son haleine, et de dire : « Je te conjure d’aller droit où je veux tirer. »

Un soldat peut se garantir de l’atteinte des armes à feu avec un morceau de peau de loup ou de bouc, sur lequel on écrira, quand le soleil entre dans le signe du bélier : « Arquebuse, pistolet, canon ou autre arme à feu, je te commande que tu ne puisses tirer, de par l’homme, etc. »

On guérit un cheval encloué en mettant trois fois les pouces en croix sur son pied, en prononçant le nom du dernier assassin mis à mort, en récitant trois fois certaines prières[5]

Il y a une infinité d’autres charmes.

On distingue le charme de l’enchantement, en ce que celui-ci se faisait par des chants. Souvent

  1. Bodin, Démonomanie, etc. liv. II, ch. ii.
  2. Cambry, Voyage dans le Finistère, t. III, p. 195.
  3. Bergier, Dictionnaire théologique, au mot Charme.
  4. Leloyer, Histoire et discours des spectres, liv. IV, ch. xxi.
  5. Thiers, Traité des superstitions.