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fait d’une toile enduite de poix-résine, sur laquelle on avait appliqué des étoupes. Le duc d’Orléans, voulant connaître les masques, approcha un flambeau : la flamme se communiqua avec rapidité, quatre des seigneurs furent brûlés ; mais un cri s’étant fait entendre : — « Sauvez le roi, » Charles dut la vie à la présence d’esprit de la duchesse de Berri, qui le couvrit de son manteau et arrêta la flamme.

L’état du roi empira de cette frayeur et s’aggrava de jour en jour ; le duc d’Orléans fut soupçonné cle l’avoir ensorcelé. Jordan de Mejer, De divin., cap. xlii, écrit que ce duc, voulant exterminer la race royale, confia ses armes et son anneau à un apostat, pour les consacrer au diable et les enchanter par des prestiges ; qu’une matrone évoqua le démon dans la tour de Montjoie, près de Ligny ; qu’ensuite le duc se servit des armes ensorcelées pour ôter la raison au roi Charles, son frère, si subtilement qu’on ne s’en aperçut pas d’abord.

Le premier enchantement, selon cette version, se fit près de Beauvais ; il fut si violent que les ongles et les cheveux en tombèrent au roi. Le second, qui eut lieu dans le Maine, fut plus fort encore ; personne ne pouvait assurer si le roi vivait ou non. Aussitôt qu’il revint à lui : — Je vous supplie, dit-il, enlevez-moi cette épée, qui me perce le corps par le pouvoir de mon frère/ d’Orléans. — C’est toujours Mejer qui parle. Le médecin qui avait guéri le roi n’existait plus ; on fit venir du fond de la Guienne un charlatan qui se disait sorcier, et qui s’était vanté de guérir le roi d’une seule parole : il apportait avec lui un 1 grimoire qu’il appelait Simagorad, par le moyen duquel il était maître de la nature. Les courtisans lui demandèrent de qui il tenait ce livre ; il répondit effrontément que « Dieu, pour consoler Adam de la mort d’Abel, le lui avait donné, et que ce livre, par succession, était venu jusqu’à lui ». Il traita le roi pendant six mois et ne fit qu’irriter la maladie. — Dans ses intervalles lucides, le malheureux prince commandait qu’on enlevât tous les instruments dont il pourrait frapper. — J’aime mieux mourir, disait-il, que de faire du mal. — Il se croyait de bonne foi ensorcelé. Deux moines empiriques, à qui on eut l’imprudence de l’abandonner, lui donnèrent des # breuvages désagréables, lui firent des scarifications magiques ; puis ils furent pendus, comme ils s’y étaient obligés en cas que la santé du roi ne fut pas rétablie au bout de six mois de traitement. Au resle, la mode de ce temps-là était d’avoir près de soi des sorciers ou des charlatans, comme depuis les grands eurent des fous, des nains et des guenons[1].

Charles IX, roi de France. Croirait-on qu’un des médecins astrologues de Charles IX lui ayant assuré qu’il vivrait autant de jours qu’il pourrait tourner de fois sur son talon dans l’espace d’une heure, il se livrait tous les matins à cet exercice solennel, et que les principaux officiers de l’État, les généraux, le chancelier, les vieux juges pirouettaient tous sur un seul pied pour imiter le prince et lui faire leur cour[2] !

On assure qu’après le massacre politique de la Saint-Bar thélemi, par suite surtout de l’effroi que lui causaient les conspirateurs, Charles IX vit des corbeaux sanglants, eut des visions effroyables et reçut par divers tourments le présage de sa mort prématurée. On ajoute qu’il mourut au moyen d’images de cire faites à sa ressemblance, et maudites par art magique, que ses ennemis, les magiciens protestants, faisaient fondre tous les jours par les cérémonies de l’envoûtement, et qui éteignaient la vie du roi à mesure qu’elles se consumaient[3]. En ces temps-là, quand quelqu’un mourait de consomption ou de chagrin, on publiait que les sorciers l’avaient envoûté. Les médecins rendaient les sorciers responsables des malades qu’ils ne guérissaient pas ; — à moins qu’il n’y ait, dans ce crédit universel des sorciers, un mystère qui n’est pas encore expliqué.

Charles II, duc de Lorraine. Voy. Sabbat.

Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Il disparut après la bataille de Morat ; et, parmi les chroniqueurs, il en est qui disent qu’il fut emporté par le diable, comme Roderik ; d’autres croient qu’il se réfugia en une solitude et se fit ermite. Cette tradition a fait le sujet du romande M. d’Arlincourt intitulé le Solitaire.

Charles II, roi d’Angleterre. Quoique assez instruit, Charles II était, comme son père, plein de confiance dans l’astrologie judiciaire. Il recherchait aussi la pierre philosophale.

Charme, enchantement, sortilège, certain arrangement de paroles, en vers ou en prose, dont on se sert pour produire des effets merveilleux. Une femme de je ne sais quelle contrée, ayant grand mal aux yeux, s’en alla à une école publique et demanda à un écolier quelques mots magiques qui pussent charmer son mal et le guérir, lui promettant récompense. L’écolier lui donna un billet enveloppé dans un chiffon et lui défendit de l’ouvrir. Elle le porta et guérit. Une des voisines ayant eu la même maladie porta le billet et guérit pareillement. Ce double incident excita leur curiosité ; elles développent le chiffon et lisent : « Que le diable t’écarquille les deux yeux et te les bouche avec de la boue… »

Delrio cite un sorcier qui, en allumant une certaine lampe charmée, excitait toutes les personnes qui étaient dans la chambre, quelque graves et réservées qu’elles fussent, à danser devant lui. « Ces sortes de charmes, dit-il, s’opèrent ordinairement par des paroles qui font agir le diable. »

  1. M. Garinet, Histoire de la magie en France, p. 87.
  2. Curiosités de la littérature, traduit de l’anglais par Berlin, t. I, p. 249.
  3. Delrio, Disquisit. mag., lib. III, quæst. iii.