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NAPOLÉON

sée dans les lois », sauvée trois fois, en vendémiaire, en fructidor, aux Cent‑Jours. Elle lui était consubstantielle. Elle ne pouvait plus se séparer de lui, « victime de l’ostracisme des rois ». Combien s’était-il écoulé de temps depuis ce monologue de Dresde où, devant Metternich glacé, il annonçait que tous les trônes seraient entraînés dans sa chute ? Mais un Napoléon démocrate, représentant des « idées modernes », c’était maintenant le rôle qui s’offrait. Il le saisit. Satisfait du dessin que prenait sa figure historique, à force de la corriger par ses entretiens destinés à la publicité, il disait un jour, comme s’il avait regardé son propre buste : « Chaque jour me dépouille un peu plus de ma peau de tyran. » Il sculpte un Napoléon humanitaire, qui incarne en même temps la patrie et la gloire, un mélange d’une séduction puissante sur les Français du siècle, avec du spiritualisme, du prophétisme : « Nous luttons ici contre l’oppression des dieux, et les vœux des nations sont pour nous. » Il est égalitaire, point clérical. Mais il a honoré la valeur, distingué le mérite, et il mourra dans la religion catholique, comme la plupart des Français, même brouillés avec l’Église. Enfin il laissera pour Napoléon Il une constitution libérale et de sages conseils de gouvernement. Lui-même n’avait été dictateur que « par la force des circonstances ». Il n’avait « pu débander l’arc ». Mais le « péril » avait été « toujours le même, la lutte terrible et la crise imminente », c’était son excuse… Cette semence jetée dans l’avenir lèvera. Le trône napoléonien ne sera pas restauré pour son fils. Du moins le fondateur de la dynastie aura travaillé pour son neveu. C’est à Sainte‑Hélène qu’est né l’empire de Napoléon III.

Michelet dit avec colère de ce Bonaparte‑Prométhée, dont le nom repartait ainsi pour des destinées nouvelles : « Par une maladresse insigne, on le logea à Sainte-Hélène, de manière que, de ses tréteaux si haut placés, le fourbe pût faire un Caucase. »