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NAPOLÉON

qui relient l’Empire aux origines de l’ère nouvelle, Regnault de Saint-Jean d’Angély, rappelle au Corps législatif la patrie en danger, la levée en masse et Valmy, l’an VII et Zurich, l’an VIII et la bataille de Marengo. Il s’agit de renouer la chaîne, de puiser des forces dans ces souvenirs. Le cercle se ferme et Bonaparte lui-même a fait le tour des idées politiques. Militaire jacobin à vingt-cinq ans, il n’en a que quarante-quatre. Entré depuis son mariage dans le rôle d’un souverain légitime, il n’est pas si loin du temps où il mitraillait, au service de la République, les royalistes sur les marches de Saint‑Roch. Il a obéi aux circonstances et changé avec elles. Pourquoi ne changerait‑il pas encore puisqu’elles redeviennent ce qu’elles ont été ? Il n’a qu’à regarder autour de lui. Tout cela a été tellement bref que ses aînés sont encore dans la carrière et les personnages du drame presque au complet. Barras est en exil ; ordre sera donné de laisser rentrer l’ancien Directeur. Augereau, l’Augereau de Castiglione et de fructidor, est toujours au service, maréchal et duc. Bonaparte lui écrira : « Il faut reprendre ses bottes et sa résolution de 93. » Augereau, dans l’armée, arborera des premiers la cocarde blanche, tandis qu’au Sénat Sieyès aura voté le rappel des Bourbons.

C’est que, de 1793, il ne suffit pas de reprendre les bottes et le langage. Il faudrait retrouver l’élan et le ressort est brisé. Quand la Révolution guerrière s’était livrée à un général qui promettait la paix qu’elle n’avait pu obtenir, elle sentait déjà l’épuisement des ardeurs. Après les efforts que Napoléon avait demandés à la France, c’était plus que de la fatigue, c’était du dégoût. Thiers, se rappelant les propos qu’avait entendus son enfance, écrit, et c’est éloquent : « L’horreur qu’on avait ressentie jadis pour la guillotine, on l’éprouvait aujourd’hui pour la guerre. » Des recrues de dix‑huit ans, des réfractaires partout, l’esprit détestable dans les