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NAPOLÉON

tude des grands succès préparait souvent de grands revers, mais qu’il n’était pas question de récriminer ». Parfois, en apprenant une nouvelle plus désastreuse, il frappait la terre de son bâton et lançait au ciel un regard furieux avec ces mots : « Il est donc écrit là‑haut que nous ne ferons plus que des fautes ! » C’est ainsi que l’on atteignit la Bérézina, de sinistre mémoire, où il eut l’appréhension d’un malheur encore plus affreux. En voyant ce fleuve qui charriait des glaces, le pont détruit, les Russes résolus à écraser les restes de la Grande Armée, cohue où quelques phalanges seulement subsistaient, et quand il fallut un moment penser à redescendre vers le Dniéper, il se souvint amèrement de l’assurance avec laquelle il avait dit qu’il savait ce qu’il faisait et qu’il ne recommencerait pas Charles XII. Et c’est peut‑être dans cette idée, dans cette volonté de ne pas finir comme le Suédois, de ne pas offrir une terne répétition à l’histoire, qu’il puisa l’énergie qu’il fallait pour ces journées tragiques, qu’il retrouva la clairvoyance et la décision du chef de guerre. L’étoile sur laquelle il comptait toujours ne devait pas l’abandonner non plus. Le point même qu’il avait choisi pour traverser la fatale rivière trompa l’ennemi. Plus loin, il fallut encore traverser des marais, trop semblables à ceux de Poltava, où se fût englouti ce qui avait échappé à l’horrible bousculade, si, par fortune, les Russes n’eussent oublié d’en détruire les ponts.

« J’ai assez fait l’empereur, il est temps que je fasse le général », avait dit Napoléon dans ces dangers extrêmes. Sur l’autre rive, sauvé d’un immense péril, l’empereur se retrouve. Il pense au lendemain, à son trône. Il est en Pologne, il peut communiquer avec la France, il est avide de savoir ce qui s’est passé pendant qu’il a failli disparaître et que, cette fois, on a pu vraiment le croire mort. « Il y a quinze jours que je n’ai reçu aucune nouvelle, aucune estafette et que je suis dans l’obscur de tout », écrit‑-