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LE 29e BULLETIN

tout il y a lieu de craindre que bientôt la route ne soit coupée. Des cosaques ont paru jusque dans les faubourgs. Quelques‑unes des estafettes qui apportent le courrier et assurent les communications ont été poursuivies. Ce sont des symptômes. Il serait encore temps de ramener l’armée à Vilna avant le gros de l’hiver. Napoléon s’attarde parce qu’il espère toujours que le tsar se décidera à négocier. Et comment partir sans le résultat qu’on est venu chercher si loin ? Comment expliquer ce départ ? Caulaincourt dit avec force : « L’embarras de sa difficile position le tenait comme enchaîné au Kremlin. »

Devant le péril, il fallut se résoudre à partir. Les Russes commencent à couper la route de Smolensk. Les communications avec la France ont cessé d’être régulières. Napoléon n’a plus de nouvelles de son Empire, ne peut plus correspondre quotidiennement avec ses ministres. Le courrier manque, l’armée ne reçoit plus de lettres du pays, sent l’isolement, et le moral s’affecte. Déjà, en lui-même, l’empereur a reconnu qu’il ne pouvait plus rester à Moscou. Il ne veut pas l’avouer encore parce que l’annonce de la retraite ruinerait les dernières chances de paix. Avec le temps vainement perdu, un départ improvisé, des précautions insuffisantes contre le froid causeront les malheurs de la Grande Armée. Napoléon s’est laissé endormir à Moscou et, pour l’entretenir dans un espoir funeste, pour lui donner une sécurité trompeuse, le rusé Koutousof est allé jusqu’à simuler une suspension d’armes.

Ces dernières journées du Kremlin, ce sont celles du joueur qui ne veut pas avoir perdu et tente encore la chance, qui essaie de dernières combinaisons. Le 16 octobre, il s’adresse directement à Koutousof. Il se résigne à solliciter la paix. La réponse est un refus. Alors Napoléon songe à l’arme dont il n’a pas voulu se servir. Il fait rédiger un acte d’émancipation des serfs. Et puis la proclamation est retirée, « foudres vengeurs dont il ne montrait que les