Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
458
NAPOLÉON

de choses prodigieuses avaient été faites que rien ne semblait plus impossible. Alors les officiers russes confient au roi de Naples, prêt à échanger sa couronne contre une autre ou à en ceindre une seconde, que les choses vont mal chez eux, que la noblesse, les marchands et le peuple sont las de cette guerre, qu’eux‑mêmes en sont fatigués, qu’on aspire à la paix. Et comme naguère pour l’affaire espagnole, Murat, de ses illusions, entretient celles de l’empereur, qui étonne d’ailleurs par son assurance, qui passe trois soirées à rédiger les statuts de la Comédie‑Française, aussi tranquille que s’il datait le décret de Saint‑Cloud, et qui, voyant les jours passer, répond aux inquiétudes qu’il sent naître autour de lui que le climat n’est pas si rigoureux que l’avaient prétendu les pessimistes. « Voyez, disait-il d’un air dégagé, l’automne est plus beau, même plus chaud qu’à Fontainebleau. » Et quoique « tout lui criât que le tsar ne voulait pas traiter », tandis que le besoin qu’il avait lui‑même de la paix était criant, il s’obstinait, ne cessait d’affirmer que les Russes se lasseraient avant lui et que la capitulation d’Alexandre n’était qu’une affaire de jours.

Cette belle confiance cachait des alarmes secrètes. Le 4 octobre, il charge Lauriston de se rendre au quartier général de Koutousof et de porter une nouvelle lettre au tsar. Du même moment datent des notes où l’empereur prévoit diverses hypothèses, retour à Smolensk, mouvement menaçant vers Saint-Pétersbourg. Il commence à se dire que Moscou n’est pas une bonne position, qu’entre la France et l’armée il y a les Prussiens et les Autrichiens, alliés du jour, fort capables de redevenir des ennemis. Il lui est arrivé, en effet, un billet énigmatique de Schwarzenberg qui laisse craindre une défection de l’Autriche et, après l’avoir lu, il a murmuré de mauvais vers de tragédie qui parlent de la loi suprême du destin. Hiverner à Moscou ? La ville, incendiée et déserte, n’offre pas de ressources et sur-