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LE 29e BULLETIN

Là, Bonaparte n’aurait plus été lui‑même. Malade, affaibli dans son intelligence et sa volonté, témoin presque immobile de cette journée meurtrière, il en aurait compromis le succès par son flegme appesanti. On l’a dit encore sous l’impression des nouvelles qu’il venait de recevoir d’Espagne, défaite de Marmont aux Arapiles, Madrid abandonné par Joseph pour la seconde fois, l’Espagne probablement perdue. Le refus de donner les dix‑huit mille hommes de sa Garde pour exploiter la victoire a paru inexplicable. On a décrit l’indignation de Murat, cité le mot méprisant de Ney : « Qu’il retourne aux Tuileries ! » Il semble, en effet, que Napoléon était atteint ce jour-là d’une fièvre violente qui pourtant ne l’empêcha pas de suivre la bataille. Quant aux dépêches d’Espagne, elles n’avaient, comme à l’ordinaire, excité que sa pitié pour les choses qui se passaient là-bas. Cependant, se mesurer avec Koutousof était son désir, car il fallait «  en finir pour en sortir ». Il tenait enfin cette « bonne bataille » qui devait apporter la paix et, comme il le promettait au soldat, assurer « un prompt retour dans la patrie ». Mais au milieu de l’action, et elle fut terrible, il restait obsédé de la pensée que la Garde était sa suprême ressource, qu’il serait téméraire de la faire « démolir ». Aux supplications de Murat et de Ney, sa réponse, approuvée de Bessières et de Berthier, fut qu’« à huit cents lieues de France on ne risque pas sa dernière réserve ». Au fond, ses anxiétés ne le quittaient pas. Il se flattait de rester prudent, de penser à tout, de ne rien livrer au hasard, répondant qu’il voulait « voir clair sur son échiquier ». Peut-être aussi, et sans en avoir bien conscience, avait‑il, comme à Austerlitz, l’idée de ménager jusqu’à un certain point Alexandre et de ne pas rendre cette guerre sans merci. L’incertitude où il était depuis si longtemps l’accablait plus que la fièvre. Hésitant entre les moyens de se procurer une paix insaisissable, il ne savait plus s’il l’au-