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LE 29e BULLETIN

plus loin, conduit où il se défendait d’aller. Les circonstances le dominent. Il n’est pas maître des événements et le besoin d’obtenir la solution le commande. Il trouve maintenant des raisons de se diriger vers Moscou comme il en eût trouvé de se diriger vers Pétersbourg.

Et pourquoi rien ne réussit‑il ? Les manœuvres qu’il imagine avec un esprit alerte et fécond sont du genre où d’ordinaire il triomphe. Celles‑ci peuvent compter parmi les plus belles. Déborder l’ennemi, le tourner, l’encercler, lui couper la retraite, tout est d’un art supérieur et tout manque. On a pris contact avec les Russes avant Smolensk, à Valoutina. Les Russes échappent encore. Quand Napoléon croit tenir la grande bataille, elle s’évanouit. Quand elle s’offre, il n’y croit pas. À Valoutina, il n’a pas été présent, il a été retenu par l’expédition des affaires de l’Empire qui viennent l’assiéger jusqu’ici. Lorsqu’il apprend ce gros combat, violemment contrarié de ne l’avoir pas dirigé lui‑même, il s’emporte encore contre ses lieutenants qui n’ont pas tiré parti de cette journée meurtrière, des sacrifices qu’elle coûte. C’est un éternel : « Je ne peux pas tout faire. » Ni être à tout, à ce qui se passe à Paris et à Rome, à Amsterdam et à Madrid, et, avec cela, ne pas quitter le bivouac. Colère violente contre Junot, et qui s’apaise, comme les autres, qu’aucune sanction ne suit. Tout s’exhale en paroles.

C’est aussi par des paroles qu’il rassure et qu’il convainc les autres et lui-même. Il affirme, à Smolensk : « Avant un mois nous serons à Moscou ; dans six semaines nous aurons la paix. » Son idée fixe l’engage maintenant sur la route fatale. Puisqu’il faut arracher la paix, Alexandre s’inclinera lorsque les Français se seront emparés de sa cité sainte. Durant cette marche sur le Kremlin, d’où il compte rapporter un traité triomphal, Napoléon ne perd aucune occasion de répéter et de faire savoir ce qu’il a déjà publié tant de fois, que cette guerre